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Le transmedia, nouvelle figure de proue de Warner / DC (Première partie)

Le transmedia, nouvelle figure de proue de Warner / DC (Première partie)

Durant l’un des derniers épisodes de Arrow (4.15 –Taken) diffusé sur la chaîne The CW, la série accueillait une nouvelle protagoniste : Vixen (Mari Jiwe McCabe à la ville). Sortie de nulle part ou presque, sa présence n’a pourtant rien d’une surprise : la jeune femme existe dans le Arrow-verse* depuis août 2015. Si vous ne l’aviez jamais aperçue auparavant dans les aventures de l’archer vert, cela n’a rien d’anormal. Ses origines ont été dévoilées au travers d’un spin-off de Arrow et de Flash sous la forme… d’une web-série animée. Pour Warner, DC, et The CW, il s’agit d’une occasion en or pour instaurer un poids supplémentaire dans son univers partagé télévisuel : le concept de transmedia. Au travers de ce dossier dont nous vous dévoilons aujourd’hui la première partie, Oriane Hurard, productrice et programmatrice transmedia, interviendra en tant qu’experte pour apporter un éclairage sur la politique de Warner à ce sujet.

 

Le transmedia, narration aux multiples facettes.

Comme son nom l’indique, il s’agit de développer un univers narratif au travers de plusieurs médias (Internet, cinéma, jeux vidéo, télévision, comics, romans, mangas, etc.) afin de l’étendre ou de le compléter. Idéalement, la nécessité du transmedia contribue surtout à faire vivre à son public un univers enrichi, de prolonger le désir. Il s’agit donc d’un outil narratif complémentaire, puissant quand il est bien employé, et qui peut aussi servir, de manière astucieuse, d’outil promotionnel bien déguisé. Au cinéma par exemple, Matrix Reloaded explora les recoins de son monde numérisé grâce à une dizaine de courts métrages d’animation (Animatrix). Dans un tout autre genre, à la lisière de la promotion astucieuse et de l’enrichissement de son récit, le Projet Blair Witch mettait en exergue un site Internet chargé de brouiller les pistes entre le réel et la fiction.

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Le 9ème art n’est pas en reste. Benjamin Renner, auteur de l’excellente bande dessinée Le Grand Méchant Renard, exploite à nouveau son œuvre au travers d’un prologue interactif sur le web. Permettant au public de renouer avec son attachant et drolatique personnage, il contribue à rendre le lecteur acteur, puisque ce dernier peut choisir plusieurs chemins dans l’histoire, comme un livre dont vous êtes le héros. Dernièrement, le titre Dilemma proposait de découvrir sur le net une fin alternative à son format librairie. Au japon, l’utilisation du transmedia (appelé media-mix là-bas) n’est plus une extension mais un genre à part entière depuis le début du XXIème siècle. Le light novel, ou roman pour jeunes adultes, peut être décliné dès sa parution en manga, dessin animé et feuilleton radiophonique pour toucher une cible plus large. Le manga Kimagure Orange Road (Max et Compagnie chez nous) proposa par exemple une extension de son triangle amoureux des années plus tard par le biais de trois romans. La série animée Evangelion demeure un cas d’école, tant le contenu transmedia est riche et décliné dans tous les médias possibles et imaginables.

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Cette prolongation s’installe aussi dans les séries depuis quelques années. En 2006, Damon Lindelof et Carlton Cuse marquaient les esprits avec un Alternate Reality Game (ARG), The Lost Experience, mettant à forte contribution les téléspectateurs à travers plusieurs sites, forums, fausses vidéos, etc. entre deux saisons. Plus récemment, Banshee déploie depuis sa première année d’existence sa propre web-série, Banshee Origins, qui s’articule sur le passé de ses protagonistes. Buffy the Vampire Slayer propose en comics une suite aux aventures de La Tueuse qui a été déclinée le temps d’une huitième saison en dessin animé. La France n’échappe pas non plus à l’utilisation du transmedia. Lors du lancement de la saison 6, Fais pas ci, Fais pas ça a développé sa propre web-série « Quand les parents sont pas là » qui permet de mettre en avant les adolescents des deux familles.
De manière plus évidente, Disney, propriétaire de Marvel, n’a pas attendu pour déployer le transmedia comme une arme de marketing massive. Prolongeant les ramifications narratives de ses personnages secondaires, au travers de courts métrages inédits en premier lieu (les fameux « one shot Marvel« ) puis via de nombreuses séries télés (Agents of Shield /Agent Carter) ou en VOD (Daredevil / Jessica Jones), le géant de l’entertainment exploite toutes les directions possibles pour faire perdurer son univers, mais aussi pour s’en servir comme point d’entrée. A contrario, leurs concurrents directs Warner et DC contrastent totalement avec une politique inverse… qui sera peut être amenée à changer.

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Warner, ton univers impitoyable

Revenons sur le cas de DC et de Warner Bros et l’implication du transmedia dans leur escarcelle. Les deux poids lourds de l’industrie comics et du cinéma appliquent une politique draconienne dans l’adaptation filmique de leurs super-héros. L’éditeur détient les droits de tous ses personnages. A contrario de Marvel, point de dispersions entre différents studios. Tous sont réunis sous l’égide du même propriétaire. La firme entend donc faire respecter une charte bien précise qui consiste à disposer de ses héros comme elle l’entend et surtout, quand elle l’estime nécessaire.
Tout comme des flux qui ne doivent jamais se croiser, les séries et les films DC ne doivent jamais se rencontrer. Une volonté rigoriste, qu’il est important d’expliquer. Quand Superman, Batman et Wonder Woman s’allient pour créer la future ligue de justice sur grand écran, on déploie Arrow, Supergirl, Constantine et les vilains de Gotham sur le petit. Flash restant pour l’instant la seule exception. L’exemple le plus flagrant pour illustrer parfaitement leur démarche est Suicide Squad. Si Deadshot et Deathstroke, deux vilains très appréciés issus de Arrow furent mis hors course pour les besoins de l’histoire, il ne faut pourtant pas s’attendre à les revoir de sitôt, malgré le rappel du public. Leurs versions filmiques sont désormais devenues nécessaires dans les plans de Warner. L’un servira justement à Suicide Squad, prévu pour août 2016, l’autre pour un projet inconnu mais dont les récentes rumeurs l’établiraient comme l’ennemi futur de Batman au cinéma.

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Dans la foulée des absences obligées issues de l’archer vert, deux icones féminines deviennent à leur tour des transfuges pour le futur film des supers vilains : Amanda Waller, qui disparaîtra brutalement de la série, ainsi que Harley Quinn, simple caméo verbal à peine visible dans Arrow, devenue « égérie » du film Suicide Squad. Enfin, la nécessité du Joker de figurer dans ce dernier obligeait officieusement, à ce que la série Gotham se destitue de sa propre version, ou supposée telle, comme l’expliquait son créateur Bruno Heller dernièrement. Rien n’indique qu’il ne sera pas utilisé plus tard mais nous devrons attendre encore un bon moment avant de revoir le fameux clown. Warner récupère donc ses pions, les redistribue, tels des dollars à réinjecter pour les réutiliser dans un business plan chaque fois plus conséquent, afin d’affronter Disney et Marvel à icones égales. Il est donc presque obligatoire de faire en sorte que les protagonistes issus des comics de DC ne soient pas présents à la fois au cinéma et à la télé.

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Parole d’experte :

« Je n’étais pas au fait des détails de leur stratégie, mais effectivement, dans ce que je lis dans votre article, il y a une vraie contradiction que n’a pas Marvel. L’impression que donne DC est vraiment d’utiliser la télévision comme un vivier de développement de personnages, qu’on arrose et qu’on regarde grandir, jusqu’à choisir la plus belle plante pour la couper et la transposer dans le jardin principal. Au-delà de la métaphore botanique, je trouve cet état d’esprit légèrement méprisant envers la télévision, qui a le mérite de développer des personnages secondaires intéressants mais qui, à partir du moment où ceux-ci sont jugés assez bons pour passer sur grand écran, serait privée de ses meilleurs éléments ! Cette stratégie établit une hiérarchie assez stricte entre cinéma et télévision, entre comédiens du petit et du grand écran, ce qui est contraire à l’esprit transmedia, selon moi. A contrario, Marvel n’hésite pas à faire intervenir (sous forme de guest, certes) certains des personnages des films dans les séries. »

Pourtant, en novembre 2015, le PDG de Warner, Kevin Tsujihara, estime qu’il ne doit pas y avoir de frein entre le département télé et cinéma concernant la propriété intellectuelle des personnages DC. Le partage doit être de rigueur pour illustrer cet état de fait. Officiellement, la chaîne CW bénéficie, il est vrai, de plus de libertés qu’auparavant dans la création de ses œuvres télévisuelles issues de comics. C’est un fait. Officieusement, l’univers partagé du petit écran contribue plutôt à voir quels personnages fonctionnent à la télé afin de s’en servir au gré des exigences narratives destinées au cinéma, quitte à les supprimer définitivement du petit écran. Une politique de partage bien particulière, capable de desservir les séries en question sur le long terme. Pour pallier à ce problème qui risque de s’accentuer au fur et à mesure que les films s’amoncellent, Batman V Superman en étant le premier coup d’envoi, la solution se trouve donc peut être au travers d’un outsider inattendu nommé Vixen.

Jeudi prochain, retrouvez la suite de notre dossier où nous étudierons en profondeur l’intérêt de Vixen pour Warner et ce qu’elle peut générer pour la firme.

*Arrow-verse : Univers partagé télévisuel de DC dans lequel sont regroupés Arrow, Flash, Legends of Tomorrow, Vixen et d’une certaine manière, Supergirl.

 

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