
Triple Frontière : argent sale
Sorti in extremis du « development hell » grâce à Netflix, Triple frontière est la production événement de la plateforme sur ce mois de mars. J.C. Chandor, y démontre son talent de caméléon, en brillant dans un film à cheval sur plusieurs genres. Superbe quoique imparfait.
À l’origine, Triple frontière était Sleeping Dogs. Ce projet, mené par la réalisatrice Kathryn Bigelow et son scénariste Mark Boal depuis le milieu des années 2000, traitait déjà d’un groupe de combattants œuvrant à la fameuse région commune entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay. Suite au succès de son chef-d’œuvre Démineurs, multi-oscarisés, la production peut enfin débuter, Paramount débloquant 80 millions de dollars et sollicitant non moins que Tom Hanks, Johnny Depp, Sean Penn, Javier Bardem ou encore Christian Bale pour les divers rôles principaux. Mais entre les multiples projets de Bigelow, un casting qui se modifie tous les mois et un financement de moins en moins garanti, Triple frontière s’est enfoncé dans le fameux « enfer de développement », sorte de purgatoire des projets prêts à être tournés, mais dont la production coince pour une somme de détails, souvent à base de gros sous et de regards artistiques contradictoires.
Finalement rejeté par Paramount en 2017, le projet ressuscite de manière inespérée sous l’égide de Netflix. La plateforme engage alors le prometteur J.C. Chandor pour mettre en scène ce heist-movie dopé aux stéroïdes, avec un budget conséquent. Et malgré une promotion grandiloquente qui laissait entrevoir la série-B d’action musclée et sans temps morts, le cinéaste prend à contre-courant son public et fait de l’élément central du film, le casse, un prétexte pour renvoyer l’Amérique à ses vieux démons. Interventionnisme, capitalisme outrancier, cupidité, orgueil, non-accompagnement psychologique des vétérans, autant de thématiques brassées non sans tumulte, mais avec la sincère volonté de son réalisateur de porter un regard humaniste sur ses personnages. Le métrage suit Santiago Gomez, surnommé « Pope », un mercenaire au service des polices locales d’Amérique du Sud. Quand son indic lui révèle où se trouve Gabriel Lorea, le narcotrafiquant qu’il cherche à arrêter depuis des années, il en appelle à quatre de ses frères d’armes, tous vétérans de guerre, pour faire des repérages autour de la planque. Mais très vite, cette simple mission de reconnaissance se transforme en braquage, Lorea cachant des dizaines de millions de dollars dans une maison située à la « triple frontière » entre le Brésil, le Paraguay et l’Argentine. Pope convainc alors ses coéquipiers de ne pas prévenir l’armée, de tuer Lorea et d’empocher les millions. Bien évidemment, le plan si parfait va tourner court et les cinq hommes vont se retrouver dans un cercle infernal où le karma va très vite avoir raison de ces soldats d’élite.
Derrière l’outrageant classicisme de la trame principale, Triple frontière surprend d’abord par la multiplicité de ses tonalités. D’abord long-métrage d’action musclé, puis film de casse nerveux avant de virer vers le survival, J.C. Chandor, auteur des superbes Margin Call et A Most Violent Year (son meilleur film), joue au caméléon et propose une mise en scène hybride. Les paysages riches et majestueux contrastent avec sa manière froide et clinique de filmer ses personnages zombifiés, mais tout sonne terriblement juste au travers de ses thématiques. En cela, le cinéaste fait un choix clair et risqué : sacrifier sous l’autel de l’humanisme, l’action pure et nerveuse. En résulte des scènes d’actions solides et prenantes, mais qui ne s’assument que dans la demi-mesure. Cette approche anti-spectaculaire, réjouissante au demeurant, permet ainsi de crédibiliser la démarche de Chandor, qui évite ainsi de sombrer dans la facilité et marque d’autant plus l’esprit grâce à l’image. Nul doute qu’il en a surpris plus d’un, surtout après une campagne qui mettait en avant la nervosité de l’action plutôt que la dimension thématique de l’œuvre.
C’est toutefois de ce point de vue-là que Triple Frontière brille et se fragilise à la fois. C’est avant tout l’histoire de cinq hommes, cinq soldats, dont on peine parfois à distinguer les revendications. Au-delà des stéréotypes, Chandor et Mark Boal veulent souligner la déshumanisation des soldats à leur retour au pays. Le personnage de Ben Affleck, « Redfly » est peut-être le plus significatif à cette échelle. Ancien héros de guerre, touché cinq fois par balle dans différentes « opex », il peine à se reconstruire avec un mariage qui a pris l’eau, des difficultés financières et un job non adapté de prometteur immobilier. De cette caractérisation assez clichée, Chandor transforme l’homme en esprit mouvant, prêt à basculer au moindre accroc. Mais c’est aussi la seule figure qui évolue réellement par rapport aux autres, subissant de plein fouet l’avancée du récit. Ce n’est pas tant la faute du casting, sans reproche et pleinement investi, mais plutôt d’un souci d’évolution des personnages. Pour exemple, Charlie Hunnam et Garrett Hedlund, frères dans le long-métrage et à la ressemblance physique plutôt troublante dans la vraie vie, sont écrits de façon similaire, ce qui rend d’autant plus pénible le distinguo à faire entre les deux.
Pourtant, Triple frontière ne manque pas d’idées de symboles et de retournements de situation efficaces pour mettre à mal ses personnages et leurs manières de réagir. J.C. Chandor prend ainsi à revers le manichéisme hollywoodien en faisant du Mcguffin et de l’antagoniste, le seul et même élément au sein du film : l’argent. Filmé brillamment et sans complaisance, le cinéaste montre tout son aspect morbide et son prétexte de scission au sein d’un groupe. Les protagonistes avancent et s’écroulent sans cesse à cause de lui. Chandor en profite d’ailleurs pour matraquer la cupidité et surtout l’orgueil « made in America » en montrant frontalement la culpabilité de ses « héros ». Mais Triple frontière, surtout sous l’égide Netflix, reste une chimère. Ses thématiques aussi passionnantes soient-elles sur le papier, n’ont jamais vraiment le temps de se déployer, au profit d’une aventure plus humaine et survivaliste dans la seconde partie, expédiant par la même occasion toute réflexion en filigrane pour revenir vers un sous-texte évident. Qu’on ne s’y trompe pas, cela ne rend pas Triple frontière fondamentalement mauvais, ni même décevant grâce à ses tons surprenants. Elle le nivèle simplement au rang des (très) bonnes productions Netflix, à la réussite somme-toute limitée, surtout dans son traitement. Un spectacle agréable et ambitieux, mais à qui il manque un vrai souffle pour s’imposer comme le nouveau grand film de son auteur.
Triple frontière
Réalisé par J. C. Chandor
Avec Ben Affleck, Oscar Isaac, Charlie Hunnam, Garrett Hedlund, Pedro Pascal
Sortie le 13 mars sur Netflix
L’exemple parfait de la subjectivité de chacun face a une œuvre . Les acteurs plutôt cool ,leurs charismes fait le boulot , la photo très propres soigné , Music pas bien terrible , actrice vraiment insipide . Après essayer d’intelectualiser le rapport des bonhommes et le frique ok ,nous avions compris que nous étions pas devant un film de Steven Seagal.
Le scénario bancale a souhait , des incohérences, le délires de traîner les sacs tiens plus au bout de 10mn ,la fin bâclé presque ridicule.
Encore et encore un téléfilm haute gamme de chez le Net du Flix…
Quelle dommage avec ce casting!!!