Tron L’Héritage : l’honneur est sauf (et la mémoire vive).

Tron L’Héritage : l’honneur est sauf (et la mémoire vive).

Vingt huit ans après Tron, Disney replonge dans le monde des bits et des codes avec papy Bridges en personne, incontournable clé de voûte du mythe. Une brise nostalgique imparable pour un film artistiquement plombé par les mêmes défauts que son prédécesseur, mais loin de trahir son héritage.

Synopsis : au faîte de sa gloire comme patron de la puissante société informatique Encom, Kevin Flynn (Jeff Bridges) a mystérieusement disparu en 1989. Vingt ans plus tard, son fils Sam, héritier sans repères, a laissé la gestion de l’empire à un conseil d’administration cupide. Son errance cesse le jour où Alan (Bruce Boxleitner), le vieil associé de son père, l’informe d’un étrange message de Kevin bipé depuis l’ancien bureau du disparu. Sam se rend sur place et, sans le vouloir, se retrouve projeté via un canon laser à l’intérieur de la « Grille », univers virtuel créé par son père pour expérimenter une nouvelle race de programmes révolutionnaires.

Rien de plus compliqué que d’entamer un post sur un film moyen. Je suis de fait persuadé que cette critique sera conforme au produit critiqué : moyenne (je précise pour les cancres au fond qui suivent pas). Dés lors, quel intérêt de se fendre d’une critique moyenne sur un film moyen, pour aboutir à un post aux vertus captivantes somme toute moyennes, qui plus est criblé de répétitions (critique, film, moyen…). Sauf que là, les aminches, on ne devise pas sur n’importe quel film moyen. Le sujet, c’est Tron L’Héritage. La suite (et non pas le reboot, nuance de taille…) de Tron. Le 3e séisme déterminant (après les deux premiers Star Wars) dans la mémoire enfantine des amoureux quadras de SF et de cinéma, rangés depuis dans la catégorie geek sans rien avoir demandé. Tron, un long métrage sans précédent, porté à bout de bras par un réalisateur médiocre mais visionnaire (Steven Lisberger) et qui, malgré la sensation provoquée à sa sortie dans les médias de l’époque, s’étala tout du long au box office (tout en rentrant dans ses frais). Je me suis déjà longuement exprimé, ici-même en juillet 2009, sur les raisons pour lequelles Tron a autant compté dans la gestation de la « culture geek » aujourd’hui si prisée à Hollywood. Nonobstant le rythme souffreteux, les acteurs ternes et le scénario techno-cucul, Tron nous a tous, geekos vieillissants que nous sommes, traumatisé jusqu’à l’os à l’époque. Sa confidentialité au regard de l’universalité de Star Wars en accentuait davantage encore le côté « propriété privée » des fans de SF, encore plus jalousement attachés à ce bijou mémoriel pour happy fews. Découvrir, 28 ans plus tard, une suite à ce choc indélébile constitue donc en soi un événement presque aussi fort qu’à la veille de la sortie de La Menace Fantôme en 1999.

Les attentes n’étaient paradoxalement pas des plus insoutenables. Serpent de mer aux interminables circonvolutions, cette suite de Tron aura connu dix ans de « development hell » avant qu’enfin, au Comic Con de juillet 2009, Disney ne confirme très officiellement sa production. Les informations communiquées depuis, au gré des trailers et autres fuites de scénario, n’incitaient pas spécialement à l’optimisme. Alors ? Devant la sévérité incompréhensible de mes deux camarades scudeurs à la sortie de la projection du 6 janvier, je me dois de prendre (très modérément tout de même) la défense de Tron l’héritage. Parfaitement ! Mécanisme classique : échaudé par tant de bouses intergalactiques dans le domaine du reboot/suite/prequel des gloires eighties (Star Wars Episodes 1/2/3, Indy 4, Freddy, Vendredi 13, Karate Kid, Wall Street, The A-Team, Le Choc des titans… je continue ?), je m’attendais une fois encore à une splendide débâcle. Le résultat final fleure du coup la relative bonne surprise, malgré les nombreux bugs au programme. Il faut saluer pour commencer les choix de production : comme écrit plus haut, Tron l’Héritage est une vraie suite et non pas un reboot faisant table rase du passé. On pourra conjecturer à l’envi sur le mercantilisme entourant assurément le film, mais la démarche de conserver l’univers original, faire revenir deux personnages centraux (Flynn et Alan, joués par les mêmes acteurs) et faire l’effort d’inventer une trame respectant la continuité temporelle depuis la sortie du premier Tron, me paraît artistiquement plus intègre qu’un vulgaire et paresseux reboot ou remake. Un peu comme si les scénaristes s’adressaient davantage aux supporters de la première heure marqués à jamais par la coolitude de Jeff Bridges et les airs de boyscout de Bruce Boxleitner. Comme si, via cette histoire largement dominée par le thème de la relation filiale, Disney n’avait jamais oublié les minots de dix ans aux mirettes écarquillées devant le Tron de 1982 et les convoquait à un nouveau rendez-vous pour faire le point sur leur vie, leurs rêves et la maturation de leur culture. Oui, depuis 1982, nous avons grandi, vieilli, pris des coups, nos passions d’initiés sont devenues culture de masse et Tron passé de bide expérimental à symbole générationnel, le nôtre. Tout criblé de défauts qu’il est, ce Tron 2010 suscite une indéniable tendresse pour le respect de cet… héritage et de notre histoire. Et nous les p’tits vieux, on aime bien ça, l’respect ! La fibre nostalgique est de surcroît généreusement titillée : un plan discret sur une affiche du Trou noir, un autre sur la méga porte de la salle des ordinateurs d’Encom ou la table-écran noir du bureau de Dillinger. Ou encore ce superbe tribute à Journey, dont le kitch et puissant Separate Ways de 1982 s’échappe d’un juke box au début du film (dans le Tron original, c’est leur titre « Only Solution » qui flottait dans l’air de la salle d’arcades de Flynn). Sans oublier le recyclage des mythes stars du premier opus : les motocycles lumineux, le duel à coup de disques mémoire, les Recognizers…

Hyper spectacle et bas débit

La dimension humaine de Tron L’Héritage paraît ainsi plus marquée que dans Tron, prodigieux voyage au pays des merveilles mais aussi émouvant qu’un disque dur externe. Contrairement au premier film, Kevin Flynn est désormais papa. Un père veuf condamné à la solitude, prisonnier à l’intérieur du programme informatique qu’il a lui même créé (« La Grille »). Son fils, Sam (Garrett Hedlund, mouais…), ne s’est jamais remis de la disparition mystérieuse de son père 20 ans plus tôt et, malgré son statut d’héritier du colossal empire Encom, joue les tristes pirates informatiques dans une vie privée de boussole. Projeté à son tour dans la Grille, Sam brave les pires dangers virtuels pour tenter de retrouver et ramener son père dans le réel. Hélas pas aussi bien exploité qu’il aurait dû l’être, le potentiel émotionnel des retrouvailles entre les deux hommes, à l’intérieur de la Grille, palpite à l’ombre de cet hyper spectacle aux dialogues et acteurs figés. Mais il est là, c’est certain. Via le sort funeste réservé aux programmes spontanés « Iso » par Clu, le double informatique maléfique de Flynn, cette suite s’avère aussi beaucoup plus sombre et glacée que son prédécesseur. Voire apocalyptique. A vous de voir si vous apprécierez ce virage dramatique globalement plus prononcé.

Autre qualité plus terre à terre, mais c’est quand même principalement pour elle qu’on est venu : visuellement, c’est la baffe. Pas aussi immersive qu’un Avatar, mais quand même. Avec son budget de 170 millions de dollars et 28 ans de progrès technologique dans les pattes, Tron L’Héritage repense de fond en comble la matrice et nous immerge dans une somptueuse nuit zébrée de rubans bleu irisé. Un spectacle d’autant plus intimidant que le son, pour la description duquel le qualificatif « colossal » me semble bien piètre, fait trembler vos bases à en craindre l’écroulement de la salle. Encore plus dans une projection en Imax 3D, particulièrement recommandée pour l’immersion ! Inutile de m’attarder ici sur les coulisses de l’armada informatique mobilisée pour la construction des visions dantesques du film, je n’y connais goutte et d’autres le feront bien mieux que moi. En deux mots les jeunes : ça déchire. En revanche zéro pointé aux petits génies du clavier pour le très vilain Clu/Jeff Bridges virtuel rajeuni de vingt ans (alias Clu dans la Grille). Le dossier de presse a beau hurler à la révolution technologique, le résultat est aussi réussi que les précédents rajeunissements numériques de Ian McKellen et Patrick Stewart dans X-Men 3.

Les défauts de Tron l’Héritage ? Armez vous de patience, l’intrigue traverse de sérieux coups de mous et l’adrénaline prend trop rarement le pouvoir. Certes, l’attention reste sous perfusion d’images à couper le souffle (y a toujours un jouli truc à zyeuter) et de quelques coups de boost salvateurs – ex : l’attaque du repère de Castor (Michael Sheen, über cabot) par les forces de Clu (Jeff Bridges cyber-botoxé), sur fond du Derezzed de Daft Punk, ou encore la poursuite finale. Mais le rythme ambiant tourne davantage en bas débit et le film aurait gagné à ne pas s’aventurer vers les 125 minutes, quand son prédécesseur ne dépassait pas les 105. Et ce ne sont pas les énièmes ralentis piqués à Matrix (juste retour des choses vu tout ce que les Wachowski doivent à Tron…) qui arrangent l’affaire. Cette linéarité plombée du récit, cette absence d’audace dans le traitement et la réalisation (le manque de panache dans l’exploitation de la 3D est flagrant par rapport à ce qu’en a fait un Cameron dans Avatar), tranchent cruellement avec les expérimentations visuelles saisissantes qui m’ont, à plus d’une reprise, donné l’impression d’être totalement largué, dépassé par cette assourdissante attraction. « Si c’est trop fort, c’est que tu es trop vieux » clamait l’ami Nugent. Aie… Les tares du film, bien réelles, sont souvent éclipsées par cette expérience de l’hyper spectacle qui emporte tout sur son passage. Mais au final, que restera-t-il de ce Tron 2.0 ? Gagnera-t-il le même statut d’œuvre culte que son ancêtre ? Dégagera-t-il la même poésie, créera-t-il sa propre génération de spectateurs fascinés ? En cet ère post-Avataresque, les enfants d’aujourd’hui seront-ils aussi subjugués que le furent ceux du premier Tron ? Au fond, il est pour qui, ce nouveau Tron ? Mais pardon, je digresse. Pour conclure, je garde de ce premier long métrage de Joseph Kosinski le souvenir d’un film à cheval entre l’écrasant futurisme de sa forme et le classicisme poussif de son écriture, mais qui évite la catastrophe grâce à un petit supplément d’âme téléchargé dans la machine. Au moins, mon Tron chéri de 1982 n’est pas salopé et c’est déjà énorme. Plutôt rassurant pour le remake à venir du Trou Noir par le même Kosinski, non ?

End of line…

Tron L’héritage, de Joseph Kosinski. Sortie nationale le 9 février 2011.

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