
« True Detective » : bilan de la saison 1
Le tour de grand huit est terminé. Portée par un puissant bouche à oreille, analysée et sur-analysée pendant plus de deux mois, la série créée par Nic Pizzolatto et réalisée par Cary Fukunaga (pour la saison 1) aura revisité les codes du roman noir avec inventivité. En offrant de très grands moments mais en rencontrant aussi quelques passages à vide.
Monument noir ? Tout dépend de l’angle d’approche. Evenement de ce début d’année, True Detective aura parfaitement assumé son statut de série phénomène. Pendant que les uns louent son caractère étonnant et radical, d’autres dissertent sur la pauvreté de ses personnages féminins : un écueil ou la volonté de coller au point de vue des deux personnages principaux ?
La discussion est riche et si on ne l’éludera pas ici non plus, la capacité de la série à faire réagir le téléspectateur, à l’interpeller de façon puissante, est assez notable. Il ne me semble pas que l’on retrouve un débat aussi fécond autour de House of Cards, série que l’on dépeint souvent (un peu trop ?) comme incontournable.
Un carré de (grosses) qualités
Si l’audience s’est pleinement approprié la série, ce n’est vraiment pas une simple question de buzz. True Detective possède des qualités intrinsèques évidentes.
1. Un personnage central proprement fascinant. Sombre, désespéré Rustin « Rust » Cohle (Matthew Conaughey) est surtout profondément humain. En un sens, il avale tout. A commencer par l’attention du téléspectateur.
2. Une intrigue principale bien structurée : elle ne perd jamais son potentiel d’attraction, d’un bout à l’autre de la saison. Principalement parce que cette histoire est le carrefour auquel se rencontrent un mystère et les deux personnages principaux (Rust et Martin Hart)
3. Une chronologie de l’histoire finement pensée. Etalée sur 17 années, l’intrigue de True Detective saison 1 aura parfaitement géré ses sauts dans le temps. Sans jamais s’appesantir sur telle ou telle période de l’histoire. Sur ce plan, pas d’effet béquille : la série lorgne beaucoup plus du côté de la minisérie suédoise Don’t Ever Wipe Tears Without Gloves que de Lost (1).
4. La production design et surtout la réalisation servent complètement le projet. On a beaucoup parlé du fait que les huit épisodes ont été réalisés par une seule et même personne. Cary Joji Fukunaga, réalisateur de Sin Nombre, passé par la pub et… Sciences Po Grenoble (c’est vous dire si c’est un gars bien). Si unité il y a à ce niveau, c’est surtout parce que Nic Pizzolatto et lui auront été parfaitement sur la même longueur d’onde. D’un bout à l’autre. Tous les deux se sont partagés le travail avec intelligence et au service de la même ambition : raconter une histoire forte ensemble (2).
Celles et ceux qui ont complètement adhéré au projet auront été littéralement portés par ces points forts. Pourtant, tout n’est pas probant. On peut même dire qu’il y a quelques soucis.
Le vortex Rust Cohle
Le premier est directement lié au point fort numéro 1. Si Cohle occupe une place centrale dans le récit, son partenaire Martin Hart (Woody Harrelson) pose problème à plusieurs reprises. L’idée, avec ce personnage, c’est de raconter comment, lorsque l’on enquête sur des crimes odieux, votre vie professionnelle finit par engloutir votre vie personnelle. C’est d’ailleurs ce que rappelle Fukunaga dans un entretien accordé à Vulture après le huitième épisode.
Personnellement, j’ai eu beaucoup de mal à entrer, à être touché par cette histoire pourtant très bonne sur le papier. Ce n’est pas la faute de Harrelson, qui fait le job avec tout le talent qu’on lui connaît (Woody n’est jamais décevant). En fait, si le personnage de Cohle offre quelque chose d’étonnant, de fort et (parfois) de dérangeant, celui de Hart est empêtré dans quelque chose de plus convenu. Convenu et parfois caricatural.
Clairement, il fallait un personnage ancré dans une certaine normalité, ou dans une situation qui renvoie à la normalité. Il fallait un Martin Hart. Mais ce qu’il apporte à l’histoire, l’interaction qu’il a avec Cohle, n’est pas souvent transcendante.
True Detective et les femmes
Il a aussi beaucoup été question des femmes. Dans Time, Eliana Dockterman dresse un parallèle intéressant entre Girls et True Detective. Pour elle, le drama de HBO (et accessoirement son scénariste) n’est pas misogyne, il décrit des personnages qui ont des réactions qui le sont. Un peu comme Girls met en scène des personnages souvent imbus d’eux-mêmes mais plus complexe qu’il n’y paraît.
L’idée est intéressante, elle tient debout. Le parallèle, lui, un peu moins. Dans Girls, il y a Adam. Un personnage périphérique qui s’extrait d’un archétype pour devenir l’étendard de ce que la série est : une étude de caractère dense, qui ne cautionne pas certains comportements mais rend toute la complexité des attitudes qu’elle met en scène.
Dans True Detective, Cohle est au centre de tout, Hart gravite autour de lui… et c’est à peu près tout. J’aurais tendance à penser que le problème de la série n’est pas qu’elle soit misogyne : elle rate surtout le développement de ses personnages périphériques. Et elle ne soigne pas assez les interactions entre ses deux personnages centraux et le reste du monde. Tout ceci nous ramène d’ailleurs à Hart, encore une fois. A ce petit jeu, c’est lui qui en paie le prix. A plusieurs reprises… et surtout dans les épisodes 4 et 6.
Soyons honnêtes : quand votre héros s’appelle Rust Cohle, qu’il porte en lui une puissance évocatrice monstrueuse, ce n’est pas évident à faire. Résultat : comme autour de lui et de son partenaire, il y a surtout des femmes, le manque de densité de ces personnages est évident. Dans les faits, les autres hommes ne sont pas plus intéressants (sauf un, sans doute… dans l’épisode final), mais cela semble avoir moins frappé les observateurs.
Tout ceci nous renvoie à un autre problème, qui s’inscrit en fait dans un mauvais effet de dominos.
La mécanique du milieu
Si on a dit plus haut que la chronologie de l’enquête est adroitement exploitée, l’évolution de la relation Cohle/Hart n’est pas exempte de critiques. C’est surtout flagrant dans les épisodes 5 et 6, quand l’histoire se déroule en 2002.
A ce moment-là, on sent que pour Pizzolatto, le moment est venu d’expliquer le clash entre Cohle et Hart. Pour provoquer cette rupture, il place Maggie, la femme de Martin, sur le devant de la scène. Ce personnage étant assez grossièrement défini, on ne peut vraiment s’étonner de voir des séquences assez peu convaincantes.
On parlait, un peu plus haut, de situations convenues et caricaturales ? Ici, on est en plein dedans. Dommage parce que cela nuit au développement de la relation Rust/Maggie : cette partie-là avait été développée avec fluidité, le twist au coeur de l’épisode 6, non content d’être prévisible, provoque la confrontation des deux partenaires de façon mécanique. Pour le coup, la série va à contre-courant de ce qu’elle donne à voir le reste du temps.
Ce qui nous ramène à l’origine du projet. Dans un entretien accordé à Alan Sepinwall juste avant le lancement de la saison 1, Nic Pizzolatto explique qu’il est très attaché à la logique narrative du roman.
« J’aime les histoires qui ont une véritable conclusion, j’aime quand le troisième acte d’une histoire est vraiment bon. En général, les séries dramatiques qui racontent une histoire au long cours ont un très bon début, un milieu vraiment très long et il faut parfois forcer le passage pour écrire la fin. J’aime l’idée de raconter une histoire vraiment complète »
De manière assez paradoxale, le scénariste-producteur aura presque atteint son but. True Detective saison 1, c’est un très bon début, deux derniers épisodes qui remplissent vraiment bien leur fonction mais on peut penser que le récit rencontre un coup de mou au milieu. Plus précisément quand les pérégrinations extra-conjugales de Rust prennent le plus de temps d’antenne.
Et au final…
Pour finir, un mot sur le dernier épisode. Certains seraient déçus par l’absence de révélation dantesque. J’avoue ne pas être de cet avis, je n’en attendais pas. Si des zones d’ombres subsistent sur tout ce qui entoure l’affaire au coeur du récit, si elles sont évacuées rapido, cette conclusion s’inscrit assez bien dans la logique du roman noir. De nombreuses pistes ont été esquissées, un final prenant se déroule en pleine nature (cette séquence est vraiment très réussie) et plusieurs portes restent ouvertes.
On peut ne pas adhérer, on peut même ressentir une certaine frustration. Mais cette conclusion remplit son office : elle offre une vraie charge émotionnelle, elle clôt l’histoire de façon crédible et surtout, elle renvoie son personnage principal au coeur du dilemme qui est le sien. Assumer l’absurdité de l’existence, accepter que la mort est partout… sauf en lui.
Cette issue confirme surtout une vérité éclatante : True Detective saison 1, c’est l’histoire d’un homme, Rust Cohle, confronté à un crime qui éprouve la vision consciente et inconsciente qu’il a du monde. Plus on se rapproche de ça, plus la série est captivante. Et c’est lorsque l’on s’en éloigne que l’intensité baisse.
ET SINON…
Le final de l’épisode 4 et l’assaut de l’épisode 5
Les deux séquences ont récolté de nombreuses éloges… mais la seconde me paraît nettement plus forte que la première.
La raison ? Elle est directement liée à l’intrigue, et joue complètement sur la dynamique de manipulation développée par Nic Pizzolatto (le camarade François Cau, de Rue89Lyon, l’explique bien). Le plan séquence de Fukunaga chez les bikers est impeccable, rien à redire : il offre encore une grande scène à Cohle. Mais pour moi, ce n’est pas le point central de l’histoire, le milieu du roman, comme on peut le lire sur d’autres sphères du web.
Un air de Louisiane…
Pour les mordus de chez mordus, et ceux qui vont rayer les jours en attendant la saison 2, on vous invite instamment à vous rendre du côté de chez IndieWire : une longue liste de titres entendus dans la série est effectivement à découvrir.
Arkapaw en pleine lumière
Rendre hommage au boulot de Fukunaga, c’est normal. Saluer le job monstrueux d’Adam Arkapaw à la photographie, c’est bien aussi. Le bonhomme aura réalisé un travail admirable sur ces huit épisodes. Rien d’étonnant, en même temps : le garçon tenait le même rôle sur Top of the Lake.
(1) : Tenir ce procédé sur huit épisodes d’une heure (ou 2h15, pour Don’t Ever Wipe Tears…), c’est plus simple que sur une centaine d’épisodes. Mais on peut aussi se vautrer. (2) : Si, dans un avenir proche, des porteurs de projet français veulent faire la même chose, ils ne devront surtout pas l’oublier. Ca évitera de voir certaines personnes se caresser le zoom (au sens figuré) pendant d’interminables scènes dans un bordel (au sens propre).TRUE DETECTIVE (HBO)
Créée par Nic Pizzolatto
Scénario : Nic Pizzolatto
Réalisation : Cary Fukunaga.Avec Matthew McConaughey (Rust Cohle), Woody Harrelson (Martin Hart), Michelle Monaghan (Maggie Hart), Michael Potts (Maynard Gilbough), Tory Kittles (Thomas Papania).
Je dois l’avouer, je n’ai pas accroché à cette première saison de True Detective et l’ennui abyssal ressenti durant le 2e épisode m’a fait arrêter net. Si j’avais pu éprouver une certaine fascination (et aussi de l’ennui) pour le personnage de Rust durant le pilot, son imposante présence et son aura philosophico-mystique m’ont plus rebutée qu’autre chose.
C’est une série très marquée, dans son style et sa narration, le type même de série à laquelle on succombe ou qui laisse sur le bord du chemin. Heureusement, pendant ce temps, j’ai rattrapé la première saison de Sleepy Hollow (oui, je fais ma sale peste :p)
Je n’ai pas encore vu l’épisode 8 mais je suis déjà tout à fait emballé par cette mini-série. Il faut dire que dès qu’il y a du flic, des enquêtes au long cours, de la noirceur et des bayous, je suis conquis d’office ! Certes, il y a des fragilités (fort bien expliquées dans cet article) mais quelle très jolie oeuvre dans l’ensemble ! Concernant les rôles féminins, je ne suis pas tout à fait d’accord : Michelle Monaghan se débrouille très bien avec très peu, un peu comme avec le rôle de Gennaro dans « Gone baby gone ». Elle a de la présence cette fille. On sent la force derrière le silence. J’aime. Quant à Woody, certes son rôle patine pendant les 6 1ers épisodes mais dès qu’on aborde le 7, il a une vraie épaisseur car il a passé un cap. Et alors il est beau 🙂
Je trouve cette saison 1 prenante (je le reprécise grâce à ton com). Il y a une vraie atmosphère, un souffle dans cette série, et c’est la seconde chose qui m’a plue (la première étant Cohle).
Pour ce qui est de Monaghan, je suis… assez d’accord, dans le sens où ce n’est pas elle que je mets en cause mais l’exploitation de son personnage. Le clash Cohle/Hart, dont elle est le « déclencheur », aurait dû être absolument énorme (ça fait dix ans qu’ils ont coupé les ponts) et… ça ne m’a pas touché. Si la « profondeur » du dilemme qui les oppose (deux partenaires, liés par un secret, confrontés à une trahison) m’a paru assez faible, je pense que c’est parce que l’on n’a pas vraiment de sentiment pour Maggie. Bon, j’avoue : c’est ma lecture de la chose.
Pour Woody enfin, je suis d’accord que la fin de saison lui permet de gagner en profondeur. Mais on aurait pu le faire bien plus tôt. Pour moi, au niveau de sa maturation psychologique, un truc a été manqué après l’assaut de l’épisode 5.
Merci pour ton com’ : ça me permet de préciser encore des choses 🙂
Très bon papier.
Cela dit le vrai problème de cette saison, c’est la gestion du personnage de Rust à la fin. L’attitude finale de ce dernier est en contradiction absolue avec l’ensemble de ces agissements tout le long de cette belle saison. On nous a montré plusieurs fois que Rust (rouille en français) n’était pas le genre de personnage à « lâcher l’affaire » et semblait se sacrifier pour la quête de la vérité. C’est pour cela que je trouve que son abandon relatif (les vrais coupables sont encore dehors et seront certainement blanchis) trahi l’esprit de la série pour offrir au final au spectateur ce qu’il veut : une gentille apparence de happy end.
pas d’accord , le dialogue final (magnifique) dit tout. Enfin il semble se réconcilier avec lui-même, toutes ses certitudes sont ébranlées et il semble enfin qu’il va passer à autre chose. Un happy end n’est pas un défaut 😉 Surtout que la happy end est relatif: comme tu le dis, beaucoup de coupables ne seront jamais découverts.
Un dialogue final où Rust se repositionne à 10 minute de la fin, sans que jamais rien n’est annoncé ce changement avant.
Mouais…
* n’ait annoncé
Oui il est juste entre la vie et la mort plusieurs jours^^ . Pas le genre d’expérience qui te fait revoir tes certitudes , surtout vu ce qu’il décrit avoir vécu 😉
Oui, quelques défauts, et principalement dans l’épisode 6, le plus médiocre même si tout est relatif. Le personnage de Maggie aurait mérité un petit développement supplémentaire, la partie 2002 n’est pas assez forte. Maintenant, ne faisons pas la fine bouche, cette 1ère saison est l’un de mes plus gros coups de coeur de ces dernières années.
Il y’a beaucoup de séries que j’aime encore, que je découvre, beaucoup aussi qui sont arrêtés ou sur la fin. Mais elle m’a tout de suite conquis, j’ai aimé tout de suite les personnages, ces deux détectives si différents. Autant Marty que Rust m’a intéressé. J’ai adoré l’atmosphère, l’enquête générale, le fait de ne pas faire de ces détectives des super héros. Ils se sont trompés tout simplement sur la piste à approfondir. Il n’y a pas de twist ridicule sorti de nulle part qui remet tout en cause. Ce final est prévisible dans la résolution de l’enquête et tant mieux. L’épisode final est en effet incroyable de tension pendant 20 minutes, et se conclut de manière parfaite pour moi grâce à ce dialogue magnifique entre les deux détectives.
Là c’est un humble avis, mais j’ai l’impression en lisant certaines réactions, pas ici, que l’on devient un peu pourri gâté les sériephiles. Je n’ai aucun doute sur le fait que cette série a le potentiel d’être une des plus grandes. Sur ces 5,6 dernières années, une des toutes meilleures saison 1 que j’ai vu.
Bref je suis enthousiaste 😀
Je viens de me la faire (la saison, je précise lol) en blu ray, y a bien quelques coups de mou et petites faiblesses ici et là, mais bordel cette photo, ce cadrage, ces plans, cette mise en scène, ces dialogues, ce casting…Même si tout n’est pas parfait dans cette première saison, z’ont quand même mis la barre très très haut quoi!!
Mon seul vrai regret en fait c’est que ça se termine en histoire de « bouseux consanguin détraqué sexuel », ce qui n’est pas franchement très « original »…
Mais dans l’ensemble, I LIKE IT!! 🙂