« True Detective » : bilan de la saison 1

« True Detective » : bilan de la saison 1

Note de l'auteur
Matthew McConaughey et Woody Harrelson. Photo HBO

Matthew McConaughey et Woody Harrelson. Photo HBO

Le tour de grand huit est terminé. Portée par un puissant bouche à oreille, analysée et sur-analysée pendant plus de deux mois, la série créée par Nic Pizzolatto et réalisée par Cary Fukunaga (pour la saison 1) aura revisité les codes du roman noir avec inventivité. En offrant de très grands moments mais en rencontrant aussi quelques passages à vide.

Monument noir ? Tout dépend de l’angle d’approche. Evenement de ce début d’année, True Detective aura parfaitement assumé son statut de série phénomène. Pendant que les uns louent son caractère étonnant et radical, d’autres dissertent sur la pauvreté de ses personnages féminins : un écueil ou la volonté de coller au point de vue des deux personnages principaux ?

La discussion est riche et si on ne l’éludera pas ici non plus, la capacité de la série à faire réagir le téléspectateur, à l’interpeller de façon puissante, est assez notable. Il ne me semble pas que l’on retrouve un débat aussi fécond autour de House of Cards, série que l’on dépeint souvent (un peu trop ?) comme incontournable.

Un carré de (grosses) qualités

Si l’audience s’est pleinement approprié la série, ce n’est vraiment pas une simple question de buzz. True Detective possède des qualités intrinsèques évidentes.

1. Un personnage central proprement fascinant. Sombre, désespéré Rustin « Rust » Cohle (Matthew Conaughey) est surtout profondément humain. En un sens, il avale tout. A commencer par l’attention du téléspectateur.

Rust Cohle, en 2012. Photo HBO

Rust Cohle, en 2012. Photo HBO

2. Une intrigue principale bien structurée : elle ne perd jamais son potentiel d’attraction, d’un bout à l’autre de la saison. Principalement parce que cette histoire est le carrefour auquel se rencontrent un mystère et les deux personnages principaux (Rust et Martin Hart)

3.  Une chronologie de l’histoire finement pensée. Etalée sur 17 années, l’intrigue de True Detective saison 1 aura parfaitement géré ses sauts dans le temps. Sans jamais s’appesantir sur telle ou telle période de l’histoire. Sur ce plan, pas d’effet béquille : la série lorgne beaucoup plus du côté de la minisérie suédoise Don’t Ever Wipe Tears Without Gloves que de Lost (1).

4. La production design et surtout la réalisation servent complètement le projet. On a beaucoup parlé du fait que les huit épisodes ont été réalisés par une seule et même personne. Cary Joji Fukunaga, réalisateur de Sin Nombre, passé par la pub et… Sciences Po Grenoble (c’est vous dire si c’est un gars bien). Si unité il y a à ce niveau, c’est surtout parce que Nic Pizzolatto et lui auront été parfaitement sur la même longueur d’onde. D’un bout à l’autre. Tous les deux se sont partagés le travail avec intelligence et au service de la même ambition : raconter une histoire forte ensemble (2).

Celles et ceux qui ont complètement adhéré au projet auront été littéralement portés par ces points forts. Pourtant, tout n’est pas probant. On peut même dire qu’il y a quelques soucis.

Le vortex Rust Cohle
Martin Hart en 1995. Photo HBO

Martin Hart en 1995. Photo HBO

Le premier est directement lié au point fort numéro 1. Si Cohle occupe une place centrale dans le récit, son partenaire Martin Hart (Woody Harrelson) pose problème à plusieurs reprises. L’idée, avec ce personnage, c’est de raconter comment, lorsque l’on enquête sur des crimes odieux, votre vie professionnelle finit par engloutir votre vie personnelle. C’est d’ailleurs ce que rappelle Fukunaga dans un entretien accordé à Vulture après le huitième épisode.

Personnellement, j’ai eu beaucoup de mal à entrer, à être touché par cette histoire pourtant très bonne sur le papier. Ce n’est pas la faute de Harrelson, qui fait le job avec tout le talent qu’on lui connaît (Woody n’est jamais décevant). En fait, si le personnage de Cohle offre quelque chose d’étonnant, de fort et (parfois) de dérangeant, celui de Hart est empêtré dans quelque chose de plus convenu. Convenu et parfois caricatural.

Clairement, il fallait un personnage ancré dans une certaine normalité, ou dans une situation qui renvoie à la normalité. Il fallait un Martin Hart. Mais ce qu’il apporte à l’histoire, l’interaction qu’il a avec Cohle, n’est pas souvent transcendante.

True Detective et les femmes

Il a aussi beaucoup été question des femmes. Dans Time, Eliana Dockterman dresse un parallèle intéressant entre Girls et True Detective. Pour elle, le drama de HBO (et accessoirement son scénariste) n’est pas misogyne, il décrit des personnages qui ont des réactions qui le sont. Un peu comme Girls met en scène des personnages souvent imbus d’eux-mêmes mais plus complexe qu’il n’y paraît.

Maggie Hart (Michelle Monaghan). Photo HBO

Maggie Hart (Michelle Monaghan). Photo HBO

L’idée est intéressante, elle tient debout. Le parallèle, lui, un peu moins. Dans Girls, il y a Adam. Un personnage périphérique qui s’extrait d’un archétype pour devenir l’étendard de ce que la série est : une étude de caractère dense, qui ne cautionne pas certains comportements mais rend toute la complexité des attitudes qu’elle met en scène.

Dans True Detective, Cohle est au centre de tout, Hart gravite autour de lui… et c’est à peu près tout. J’aurais tendance à penser que le problème de la série n’est pas qu’elle soit misogyne : elle rate surtout le développement de ses personnages périphériques. Et elle ne soigne pas assez les interactions entre ses deux personnages centraux et le reste du monde. Tout ceci nous ramène d’ailleurs à Hart, encore une fois. A ce petit jeu, c’est lui qui en paie le prix. A plusieurs reprises… et surtout dans les épisodes 4 et 6.

Soyons honnêtes : quand votre héros s’appelle Rust Cohle, qu’il porte en lui une puissance évocatrice monstrueuse, ce n’est pas évident à faire. Résultat : comme autour de lui et de son partenaire, il y a surtout des femmes, le manque de densité de ces personnages est évident. Dans les faits, les autres hommes ne sont pas plus intéressants (sauf un, sans doute… dans l’épisode final), mais cela semble avoir moins frappé les observateurs.

Tout ceci nous renvoie à un autre problème, qui s’inscrit en fait dans un mauvais effet de dominos.

La mécanique du milieu
Vous avez dit "Vortex" ? Photo HBO

Vous avez dit « Vortex » ? Photo HBO

Si on a dit plus haut que la chronologie de l’enquête est adroitement exploitée, l’évolution de la relation Cohle/Hart n’est pas exempte de critiques. C’est surtout flagrant dans les épisodes 5 et 6, quand l’histoire se déroule en 2002.

A ce moment-là, on sent que pour Pizzolatto, le moment est venu d’expliquer le clash entre Cohle et Hart. Pour provoquer cette rupture, il place Maggie, la femme de Martin, sur le devant de la scène. Ce personnage étant assez grossièrement défini, on ne peut vraiment s’étonner de voir des séquences assez peu convaincantes.

On parlait, un peu plus haut, de situations convenues et caricaturales ? Ici, on est en plein dedans. Dommage parce que cela nuit au développement de la relation Rust/Maggie : cette partie-là avait été développée avec fluidité, le twist au coeur de l’épisode 6, non content d’être prévisible, provoque la confrontation des deux partenaires de façon mécanique. Pour le coup, la série va à contre-courant de ce qu’elle donne à voir le reste du temps.

Ce qui nous ramène à l’origine du projet. Dans un entretien accordé à Alan Sepinwall juste avant le lancement de la saison 1, Nic Pizzolatto explique qu’il est très attaché à la logique narrative du roman.

« J’aime les histoires qui ont une véritable conclusion, j’aime quand le troisième acte d’une histoire est vraiment bon. En général, les séries dramatiques qui racontent une histoire au long cours ont un très bon début, un milieu vraiment très long et il faut parfois forcer le passage pour écrire la fin.  J’aime l’idée de raconter une histoire vraiment complète »

Rust en 1995. Photo HBO

Rust en 1995. Photo HBO

De manière assez paradoxale, le scénariste-producteur aura presque atteint son but. True Detective saison 1, c’est un très bon début, deux derniers épisodes qui remplissent vraiment bien leur fonction mais on peut penser que le récit rencontre un coup de mou au milieu. Plus précisément quand les pérégrinations extra-conjugales de Rust prennent le plus de temps d’antenne.

Et au final…

Pour finir, un  mot sur le dernier épisode. Certains seraient déçus par l’absence de révélation dantesque. J’avoue ne pas être de cet avis, je n’en attendais pas. Si des zones d’ombres subsistent sur tout ce qui entoure l’affaire au coeur du récit, si elles sont évacuées rapido, cette conclusion s’inscrit assez bien dans la logique du roman noir. De nombreuses pistes ont été esquissées, un final prenant se déroule en pleine nature (cette séquence est vraiment très réussie) et plusieurs portes restent ouvertes.

On peut ne pas adhérer, on peut même ressentir une certaine frustration. Mais cette conclusion remplit son office : elle offre une vraie charge émotionnelle, elle clôt l’histoire de façon crédible et surtout, elle renvoie son personnage principal au coeur du dilemme qui est le sien. Assumer l’absurdité de l’existence, accepter que la mort est partout… sauf en lui.

Cette issue confirme surtout une vérité éclatante : True Detective saison 1, c’est l’histoire d’un homme, Rust Cohle, confronté à un crime qui éprouve la vision consciente et inconsciente qu’il a du monde. Plus on se rapproche de ça, plus la série est captivante. Et c’est lorsque l’on s’en éloigne que l’intensité baisse.



ET SINON…

Le final de l’épisode 4 et l’assaut de l’épisode 5

Les deux séquences ont récolté de nombreuses éloges… mais la seconde me paraît nettement plus forte que la première.

La raison ? Elle est directement liée à l’intrigue, et joue complètement sur la dynamique de manipulation développée par Nic Pizzolatto (le camarade François Cau, de Rue89Lyon, l’explique bien). Le plan séquence de Fukunaga chez les bikers est impeccable, rien à redire : il offre encore une grande scène à Cohle. Mais pour moi, ce n’est pas le point central de l’histoire, le milieu du roman, comme on peut le lire sur d’autres sphères du web.

Photo HBO

Photo HBO

Un air de Louisiane…

Pour les mordus de chez mordus, et ceux qui vont rayer les jours en attendant la saison 2, on vous invite instamment à vous rendre du côté de chez IndieWire : une longue liste de titres entendus dans la série est effectivement à découvrir.

Arkapaw en pleine lumière

Rendre hommage au boulot de Fukunaga, c’est normal. Saluer le job monstrueux d’Adam Arkapaw à la photographie, c’est bien aussi. Le bonhomme aura réalisé un travail admirable sur ces huit épisodes. Rien d’étonnant, en même temps : le garçon tenait le même rôle sur Top of the Lake.

 TRUE DETECTIVE (HBO)

Créée par Nic Pizzolatto
Scénario : Nic Pizzolatto
Réalisation : Cary Fukunaga.

Avec Matthew McConaughey (Rust Cohle), Woody Harrelson (Martin Hart), Michelle Monaghan (Maggie Hart), Michael Potts (Maynard Gilbough), Tory Kittles (Thomas Papania).

(1) : Tenir ce procédé sur huit épisodes d’une heure (ou 2h15, pour Don’t Ever Wipe Tears…), c’est plus simple que sur une centaine d’épisodes. Mais on peut aussi se vautrer.
(2) : Si, dans un avenir proche, des porteurs de projet français veulent faire la même chose, ils ne devront surtout pas l’oublier. Ca évitera de voir certaines personnes se caresser le zoom (au sens figuré) pendant d’interminables scènes dans un bordel (au sens propre).
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