Uchronie de haut vol (The Plot Against America / HBO / OCS)

Note de l'auteur

David Simon et son compère Ed Burns s’essaient à l’adaptation d’un roman de Philip Roth, The Plot Against America, un récit en partie autobiographique construit dans un contexte historique alternatif. Le résultat est une minisérie dont la signification politique irradie encore un peu plus sous l’ère Trump.

Entre le 20 et le 21 mai 1927, Charles Lindberg effectue le premier vol transatlantique sans escale et en solitaire depuis Long Island jusqu’à l’aéroport du Bourget. Il accède immédiatement au statut de célébrité, de héros ou d’icône, c’est selon. Mais l’homme ne se résume pas à cet exploit, sa célébrité non plus d’ailleurs (l’enlèvement très médiatisé de son fils en 1932 la renforcera singulièrement). Le pilote avait en effet, entre autres, pris fermement position contre l’engagement des Etats Unis dans le conflit de la seconde guerre mondiale, ne cachant pas son soutien pour le régime allemand nazi (qui l’avait décoré) ou encore expliquant qu’il fallait absolument préserver “l’héritage d’un sang européen”*…

L’isolationnisme, mais surtout l’antisémitisme, sont au cœur de ce roman écrit par Roth en 2004 sous forme d’une subtile uchronie. Lindbergh remporte ainsi l’investiture républicaine en 1940 et défait Roosevelt dans la foulée. Les personnages sont donc bien réels mais le décalage s’installe dans un crescendo très documenté. Le sentiment d’emprise est de surcroît diaboliquement renforcé par un mécanisme de point de vue au plus proche de l’écrivain. Car c’est là qu’il glisse la dimension autobiographique de The Plot Against America. Les événements sont vécus par les yeux d’un enfant de 7 ans, dénommé Philip Roth (le nom de famille devient Levin dans la minisérie), alors qu’il vit avec son frère et ses parents dans un quartier juif de Newark, New Jersey. Une époque sensible, ou les événements, notamment en provenance d’Europe, rythment les programmes radio diffusé sur l’appareil qui trônait dans le salon familial.

C’est tout une époque et son contexte que nous livre là Philip Roth. Une défiance vis à vis des juifs qu’il a personnellement ressenti. En extrapolant sur l’élection de Lindberg, c’est cette dérive qu’il souhaite dénoncer. Son livre paraît en 2004 sous l’ère Bush fils, républicain lui aussi mais sans plus de comparaison. En adaptant son récit, Burns et Simon exercent forcément un tout autre regard, à l’heure ou leur pays a connu l’élection d’un démagogue prompt à certaines formes d’isolationnisme justement (cf le mur avec le Mexique par exemple…) sans parler du reste.

Toutefois, David Simon ne triche pas. sa version de The Plot Against America est très fidèle au roman. Le matériau historique très précis est scrupuleusement respecté. C’est tout juste si l’on ressent quelques inflexions du showrunner pour ces personnages à la marge qu’il affectionne tant comme ici Alvin (Anthony Boyle), un neveu du père du jeune Philip, prêt à “contourner” le système.

La reconstitution est sublime et bénéficie en particulier sur la forme du travail de Thomas Schlamme (le “walk & talk” sur le West Wing de Sorkin) à la mise en scène des trois derniers épisodes. Le casting est au diapason avec des seconds rôles de prestige comme Wynona Ryder (Evelyn) ou John Turturro (Bengelsdorf) mais on retiendra les belles performances des parents, Bess et Herman, interprétés par Zoe Kazan et Morgan Spector.

Alors à l’heure où l’auteur de ces lignes écrit, nous faisons face au confinement au regard d’une pandémie (Covid-19) et l’enjeu de l’isolationnisme prend lui aussi une toute autre signification. Paradoxalement, notre réalité nous enjoint à nous serrer les coudes par l’isolement et The Plot Against America d’apporter une réflexion forcément salutaire pour un visionnage à recommander fortement.

*: Dans un essai absolument passionnant (comme souvent avec l’auteur) publié dans le New York Times, Roth explique l’inspiration à l’origine de son roman.

THE PLOT AGAINST AMERICA (HBO) Minisérie en 6 épisodes
Diffusée sur OCS en US+24
Série écrite par Ed Burns, Reena Rexrode & David Simon
D’après le roman de Philip Roth
Série réalisée par Minkie Spiro & Thomas Schlamme
Avec Winona Ryder, Zoe Kazan, Morgan Spector, John Turturro, Anthony Boyle, Azhy Robertson & Caleb Malis

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