
Un jour, une palme : Dancer in the dark (2000)

« Si en plus, j’avais été unijambiste, bègue, grande brûlée et édentée, ça aurait été mieux, je pense… »
Selma est d’origine tchèque et habite dans l’État de Washington. Elle travaille dans une usine et gagne un maigre salaire. Elle a un enfant à charge. Elle souffre d’une maladie congénitale qui est en train, progressivement, de la rendre aveugle. Du coup, elle est virée. Et elle a besoin d’argent pour réaliser une opération de chirurgie qui évitera à son enfant de devenir aveugle aussi.
Putain…
Excusez cette vulgarité primaire, mais Dancer in the dark est certainement l’un des plus gros et indigestes tire-larmes de l’histoire du cinéma. Mais pas seulement. Il le fait avec une balourdise constante, et, derrière sa caméra, Lars Von Trier joue au sale gosse manipulateur. On l’imagine facilement, pendant les projections, se délecter des larmes des spectateurs sur le mode « regardez-moi ces cons en train de pleurer… »
Pour le sacrer meilleur film du festival 2000 (qui avait quand même The Yards de James Gray en compétition, hein… pour rappel), il fallait un président du Jury à la hauteur de la monumentale purge du diablotin Von Trier. Luc Besson. Le mec qui ne déçoit jamais. Le réalisateur pour adolescent de toutes époques, celui qui part du principe qu’une actrice qui fait une bonne performance, c’est une actrice qui chiale. Celui, aussi, qui possédait ce pouvoir magique de faire des films à succès instantanément démodés un mois plus tard (à part Léon).
Le roi de l’air du temps ne pouvait que sacrer un film lui aussi complètement sclérosé dans sa période. Avec le Dogme95 (1), les petits danois se sont fait connaître. Le mouvement n’aura, au final, fourni qu’un seul grand film, Festen. Dancer in the dark reprend certains fondements du Dogme95, mais vaguement. Seule l’image vidéo cradingue reste. C’est granuleux, immonde quand l’écran est baigné de lumière, pas regardable quand c’est la pénombre…
Björk, qu’on imaginait en point faible, s’avère largement à la hauteur de ce qu’on lui demande. Elle s’était épanchée dans une interview dans Premiere, regrettant la direction prise par Von Trier, pensant qu’il était passé à côté du film qu’ils étaient censés faire ensemble.
Dancer in the dark fait partie de la trilogie inavouée de Von Trier (2) : la rééducation de la femme par l’humiliation et le sacrifice. Si Breaking the waves possédait quelques qualités, Dancer in the dark est insupportable, et peut provoquer un rejet définitif du réalisateur. Le troisième et dernier, Dogville, est tout bonnement gerbant. Avec son final en retournement de situation totalement révoltant, Von Trier confirme son statut de talentueuse mais insupportable tête à claques.
Aussi génial soit-il, aussi bourré de troubles psycho soit-il, plus le temps passe, plus je pense que Von Trier est un grand manipulateur qui gère très bien sa carrière. J’en arrive à me dire que ses divers coups d’éclat-provoc sont le résultat d’un plan de communication très travaillé. Qu’on parle de lui, toujours et encore. Après tout, ça semble fonctionner. Il gagne des prix, fait des entrées… son dernier film, après tout, Melancholia, mettait en avant les meilleures qualités du cinéaste.
Toujours étonnant que quelques années après, Dancer in the dark ne soit pas considéré comme il le mérite : un gros coup commercial manipulateur et révoltant. Et pendant ce temps-là, Luc Besson doit continuer à trouver ça génial…
(1) : Le Dogme95 : coup de pub cherchant à reproduire, sur le même principe d’avancée technique, les effets de la Nouvelle Vague française.
(2) : La vraie trilogie officielle est Breaking the Waves, The Idiots et Dancer in the Dark, la trilogie des coeurs d’or… fous-toi de nous, tiens…
Amusant, j’aurais pu écrire la même chose concernant Spielberg et le soldat Ryan. J’ai l’impression que c’est beaucoup affaire de goût.
Évidemment Spielberg est génial, évidemment il a commis du chef d’œuvre, mais là ou Trier joue la provoc’, l’autre se complait dans la démagogie.
L’un dans l’autre (ce n’est pas sale !), ça fait du cinéma qui me passionne.
Pour Trier, plutôt que de la manipulation, on sent bien l’envie de rénover les genres, avec plus ou moins de bonheur (Rhaa Antichrist, génial et ridicule à la fois). Ici, la comédie musicale fraie avec le mélodrame social lourdingue… même si je n’ai pas trouvé les choses si tire-larmes que ça.
Maintenant, est-ce qu’on peut lui reprocher d’avoir été le choix du jury Besson ?