
Un jour, une palme : Le Pianiste (2002)
En 2002, après plusieurs films en demi-teinte et son piteux La Neuvième Porte, Roman Polanski redevient un cinéaste de premier plan avec Le Pianiste. Adaptée des mémoires du véritable musicien juif polonais Wladyslaw Szpilman, l’intrigue suit la lutte coûte que coûte de ce dernier pour survivre dans une Varsovie bombardée puis envahie par les Nazis, tandis que sa famille est entièrement déportée. Toute la narration du film est tendue par cet instinct de survie égoïste du frêle Spilzman, réflexe obsessionnel et irréductible, même lorsqu’après plusieurs mois caché dans les décombres d’une maison abandonnée, famélique et divagant, le pianiste ressemble davantage à une bête errante et apeurée qu’à un être humain. Survivre et rien d’autre.
Certains critiques reprocheront à Polanski le soi-disant académisme de sa mise en scène et l’ultra classicisme du film, dont ils attendaient sans doute bizarrement quelque arabesque de fond et de forme pour satisfaire leur onanisme analytique. Lui-même enfant du ghetto de Cracovie (celui que montra Spielberg dans La Liste de Schindler), Polanski raconte sa propre histoire à travers celle de Szpilman et se contente en effet d’une trame extrêmement sobre, à distance, sans gras ni affèterie de traitement. La puissance du Pianiste, sa force à communiquer la terreur d’un quotidien brutalement désintégré par la barbarie, ne fait pourtant aucun doute. Grâce en soit rendue à un scénario décrivant parfaitement la sourde montée en puissance de la menace nazie tandis que les élites juives polonaises refusent de croire au pire dans leur bulle civilisée.
Collant sans pathos aux proches de Spilzman et leur sérénité inconsciente dans une Pologne bientôt rasée par l’infâmie, l’action souffle une première bouffée d’horreur lors de l’intrusion d’un groupe de SS dans l’appartement du clan Spilzman, interrompant un dîner en famille. Sans le moindre motif apparent, les importuns défenestrent le grand-père sous les yeux horrifiés des convives. Balancé par la fenêtre comme un vulgaire matelas. La scène estomaque littéralement dans la mise en pièce instantanée qu’elle opère du confort mental des victimes et du spectateur, elle tétanise tant le geste meurtrier est accompli sans sommation et de façon machinale, naturelle. Parfaite illustration de la barbarie génocidaire au nom de laquelle le bourreau retire à sa victime la qualité même d’être humain, la réduisant à l’état d’objet dégradable jusqu’à la bouillie, comme le soulignera plus tard la philosophe Hannah Arendt. Une éprouvante suite d’autres scènes d’humiliation/persécution de la population juive de Varsovie illustreront au fil des événements cette ligne thématique essentielle, mais ce meurtre initial choque particulièrement par son inscription soudaine dans une paisible réunion familiale.
Tout en retenue dramaturgique, sans artifice formel ou presque, Le Pianiste doit aussi son impact à la sidérante prestation d’Adrien Brody dans le rôle titre. Au delà de la performance (14 kilos perdus pour l’occasion), Brody trouve la note juste entre fragilité et détermination, sa confrontation finale avec l’officier allemand mélomane propulsant le récit vers un sommet d’émotion et d’humanisme. Durant les scènes entre Spilzman et le capitaine Hosenfeld (joué par Thomas Kretschmann), envoûté par la mélodie jouée au piano par ce Juif qui partage avec lui l’amour de la musique, la force dévastatrice du symbole – l’art, dernier vestige d’Humanité capable de dompter la haine la plus abjecte – appelle d’irrépressibles larmes et pare le récit d’une incontestable universalité.
Difficile parallèlement de retirer au Pianiste sa cohérence dans l’oeuvre de Polanski, presque toute entière portée par la régulière confrontation du cinéaste avec ses démons les plus obscurs. Au terme de 2h30 éprouvantes, l’ex gamin de huit ans sauvé in extremis des camps d’extermination a su regarder droit dans les yeux la pire des bêtes et en tirer l’un de ses plus beaux films. Présidé en 2002 par David Lynch, le jury remettra au Pianiste la Palme d’or à l’unanimité. Le début d’une litanie de récompenses parfaitement légitimes pour une oeuvre indispensable, qui remporta sept Césars en 2003 (dont ceux du Meilleur film, Meilleur réalisateur et Meilleur acteur), ainsi qu’un Oscar décerné à Adrien Brody la même année.
grand film malade la neuvième porte.Piteux?
Merci en revanche de rappeler l’enfance du monsieur et de démontrer que le classicisme de la réal colle au propos du film.Film magnifique et qui rend hommage au film russe » Quand passent les cigognes «