
Sweet Home Belgium (critique de Alabama Monroe de Felix Van Groeningen)
Ballottant ses personnages entre bonheur, affliction, rire et mélancolie, Alabama Monroe, le nouveau film du réalisateur de La Merditude des choses, est un mélodrame au sens propre. Un drame musical sur des rythmes country, dans des Flandres filmées comme les plaines du Dixieland.
Moins punk, maniériste et déjanté que son compatriote Koen Mortier (Ex Drummer), Felix Van Groeningen peint pourtant le même type de personnages malmenés par la vie. Les deux cinéastes du plat pays ont également en commun une passion pour la musique, à tel point qu’on se demande si tout ce qu’il reste à faire à un Belge flamand dépressif submergé par le malheur mais qui ne veut pas finir pendu comme un canard sous un ciel si gris, c’est de gratter sa guitare et pousser la chansonnette.
C’est ainsi en tout cas que Didier a trouvé, sinon son bonheur, un équilibre. Fasciné par l’Amérique et son rêve, il chante et joue du banjo dans un groupe de bluegrass. Il ne manque plus qu’une femme dans sa vie et tout sera pour le mieux. La voici justement, elle s’appelle Elise, elle est tatoueuse et tatouée, et par amour pour Didier puis par affinités musicales, elle se met elle aussi à la country. Ils ont un enfant ensemble, pas vraiment désiré mais bon, ils s’y attachent vite à cette mignonne petite Maybelle et, très vite, l’aiment comme la prunelle de leurs yeux. Ils se disent que tout ça est trop beau pour être vrai. Ils ont raison.
Si Alabama Monroe a tout pour faire peur, avec petit enfant malade et couple qui s’autodétruit au programme, qu’est-ce qui peut bien en faire un mélodrame aussi bouleversant ? La réponse tient sans doute au fait que Felix van Groeningen ne joue pas la carte du mélo classiquement tire larmes où les catastrophes s’accumuleraient en crescendo mais, au contraire, celle de la déconstruction chronologique d’allure faussement aléatoire. Et, miracle, il n’en résulte pas une structure chichiteuse à la modernité un peu artificielle comme on en voit trop souvent mais, au contraire, un renforcement de la puissance de ce genre aujourd’hui déconsidéré qu’est le mélodrame, une véritable originalité formelle et une manière de creuser les sentiments jusqu’à l’os pour mettre à nu la psychologie des personnages.
Ainsi le cinéaste ne garde pas dans sa manche l’atout lacrymal qu’il sortira au moment opportun. On sait d’emblée que Maybelle est atteinte de leucémie puis, avançant, sautant des étapes ou reculant, le film dévoile des moments futurs desquels la fillette est totalement absente, et des instants passé où elle n’est pas encore conçue. On n’est donc jamais entraîné benoîtement par un récit sur le mode de La Guerre est déclarée, le film de Valérie Donzelli où l’on suivait avec une sorte d’optimisme béat poético pop totalement artificiel la progression de la maladie d’un enfant en attendant le prochain bilan sanguin comme on guette un coup de théâtre.
Grâce à son dérèglement linéaire et à ses pointes d’humour, et malgré la teneur de certaines scènes dialoguées un peu conventionnelles mais vite oubliées après quelques notes de bluegrass, Alabama Monroe évolue bien loin des balises du mélodrame classique et rabâché, allant jusqu’à s’envoler vers des interrogations métaphysiques que, dans un premier temps, on ne soupçonnait pas.
En salles depuis le 28 août.
The Broken Circle Breakdown. Belgique. 111 min. Réalisé par Felix van Groeningen. Avec Veerle Baetens, Johan Heldenbergh, Nell Cattrysse…
Je trouve que la critique se gourre sur un point ray. Quand tu dis « le film dévoile des moments futurs desquels la fillette est totalement absente, et des instants passé où elle n’est pas encore conçue. On n’est donc jamais entraîné benoîtement par un récit sur le mode de La Guerre est déclarée »
Contrairement à ce que tu dis, pendant la première partie du film, on ne sait si la fillette va survivre ou non à sa maladie. Le film créé donc un divertissement (du suspense) en jouant sur la mort d’une enfant. C’est donc tire-larme, facile, artificielle. Même si ce n’était pas l’intention consciente des auteurs. Je crois en la sincérité, à l’authenticité du film.
A contrario dans la guerre est déclarée, l’un des premier plan du film nous montre l’enfant, plus âgé, passant un scanner, mais ayant survécu à la maladie. (On apprend en effet quelques minutes plus tard que l’enfant n’était censé vivre que quelques mois ou très peu d’années). Le récit alors s’inscrit beaucoup dans le registre du suspense, mais invite au contraire à la réflexion, avec une certaine prise de recul. Car en effet jouer la carte naturaliste autour de la mort d’un enfant, est difficile, est peut-être assez pervers (manipulateur). C’est le cas conscient ou non de Alabama Monroe.
Je rectifie. Il fallait lire : « le récit alors s’inscrit beaucoup MOINS dans le registre du suspense »
Désolé pour les petites fautes.
Merci pour ton commentaire, Jean-Poulpe! (T’as vu Grabbers?)
Ton point de vue se défend très bien mais il faudrait cependant préciser ce que tu nommes « divertissement ». Pour moi le divertissement au cinéma est entre autre une affaire de dramaturgie, et ça ne me pose aucun problème qu’on fasse de la dramaturgie pour parler de la mort d’un enfant ici, d’un vieillard chez Haneke ou d’un âne chez Bresson, du moins tant qu’on ne franchit pas la limite de la complaisance. La dramaturgie est l’essence même du cinéma, c’est pourquoi je suis d’accord avec toi quand tu écris que jouer la carte naturaliste autour de la mort d’un enfant est assez pervers et manipulateur.
Alabama Monroe et La Guerre est déclarée dramatisent l’un comme l’autre la question de la maladie et de la mort (ou pas) d’un enfant. Si je compare les deux films ce n’est pas du tout pour dire que l’un serait plus moral que l’autre, mais simplement parce que la dramaturgie d’Alabama Monroe me parait plus originale et stimulante que celle de La Guerre est déclarée, dont j’ai trouvé le scénario linéaire (même si on voit l’enfant au début du film qui est sinon guéri, plus résistant que ne le croyaient les médecins) et sans surprise.