
Uncharted 4: A Thief’s End – Beauté nostalgique
9 novembre 1996. Naughty Dog a déjà quelques jeux à son actif, peu connus. Mais le studio s’apprête à sortir de l’ombre grâce à un petit jeu de plates-formes mettant en scène un marsupial en short qui mange des pommes : Crash Bandicoot. C’est le début d’une grande histoire de passion et d’amour du travail bien fait. Vingt ans plus tard (tiens, tiens), Naughty Dog sort le quatrième épisode d’une de ses licences phares, Uncharted 4: A Thief’s End. Le titre de ce nouvel opus marque clairement la fin d’un cycle, la volonté de clôturer une fois pour toutes les aventures de Nathan Drake. Mais le « no no no » caractéristique du personnage est-il prémonitoire ou notre aventurier préféré a-t-il encore des choses à raconter ?
La grandeur des petits débuts
À l’époque, Crash Bandicoot fut une révélation, un jeu de plates-formes d’une fraîcheur insoupçonnée, qui parvenait à apporter quelque chose au jeu vidéo : de la spontanéité, de l’évidence, du ludique et surtout du fun. Le jeu transpirait la passion par tous les pores, brillait de milles feux, porté par un marsupial crétin mais terriblement attachant. Après une bonne dizaine de jeux et une évolution mature de la ligne directrice du studio avec Last of Us, Uncharted 4 réussit à garder cet esprit de plaisir instantané, et nous le fait comprendre par un vibrant hommage malin et jouissif au début du jeu, qui m’a laissé le sourire aux lèvres. Durant la première heure, étonnamment, ce nouvel épisode prend son temps. À travers une longue introduction somptueuse et maligne, le jeu replace les personnages dans leur contexte, en donnant du corps à chacun et en les préparant à ce qui va suivre. Nathan est devenu un homme rangé, menant une vie loin de tout danger. Mais tout comme le joueur, il ne parvient pas à s’extirper totalement de cette soif d’aventure. Et c’est l’arrivée impromptue de Sam, son frangin débarqué comme par miracle, qui va le forcer à reprendre les chemins escarpés à la poursuite d’un légendaire trésor pirate.
Samuel Drake, son frère donc, représente le fil conducteur de l’histoire. Introduit avec des ficelles un peu trop épaisses mais néanmoins intéressantes, l’aîné de la famille Drake est le pendant de Nathan, son miroir déformant venu du passé. Un homme prêt à tout pour réussir, épuisant, attachant, qui transformera sa caricature de grand frère faussement protecteur en un personnage complexe et intéressant. Le jeu le place régulièrement aux côtés du héros, mais en parvenant à le faire évoluer tout au long du jeu. D’abord mentor (c’est lui qui lui apprend la grimpette), puis suiveur, Sam se transforme peu à peu pour devenir une pâle copie de son petit frère. Il permet de donner du poids au personnage de Nate pour lui faire prendre conscience de beaucoup de choses. Même si on reste dans un Uncharted, avec ce que ça comporte de scènes spectaculaires et de ruines prêtes à s’effondrer, avoir une telle écriture sur les protagonistes leur donne véritablement de l’épaisseur, chose qui était esquissée dans les précédents épisodes. Ce nouvel opus est le parfait prolongement de tout ce qui a été abordé précédemment, mais l’aborde de manière plus frontale, plus directe, sans chercher à tout cacher sous un prétexte de divertissement.
Sa place est dans un musée !
C’est d’ailleurs un autre point étonnant de ce nouvel épisode : le rythme du jeu. Ça pourra surprendre les joueurs en quête de sensations fortes, mais Uncharted 4 possède deux fois moins de gunfights que les opus précédents. On pourra passer facilement une heure sans tirer un seul coup de feu, et c’est fort appréciable quand on se rappelle les petites longueurs dans le reste de la série. Mais si on ne lutte plus seul contre une armée entière, que reste-t-il ? Principalement de l’escalade, de l’exploration, quelques énigmes sympathiques mais pas difficiles, mais surtout de l’histoire. Enfin, Uncharted réussit à ne pas limiter son concept de divertissement de luxe à une succession de séquences de tir au pigeon un brin classique. Car s’il y a bien une sensation qui perdure manette en main, c’est l’impression véritable d’être à la poursuite d’un trésor. Contrairement aux épisodes précédents où le scénario stoppait parfois net sa progression, histoire de rajouter quelques affrontements sans envergure (c’est ce qui a porté préjudice au troisième volet), Uncharted 4 reste droit dans ses bottes et se concentre sur son objectif. La quête de ce trésor est constamment rappelée à notre bon souvenir et ne s’éloigne jamais totalement. C’est un pur plaisir de s’immerger dans une aventure menée tambour battant avec un trésor à la clé, tout en suivant la relation entre les deux frangins Drake.
C’est cette présence constante des personnages secondaires qui montre bien, entre autres choses, l’influence de Druckmann et Straley, les deux comparses débauchés de Last of Us. Bien sûr, c’est l’adage des jeux récents de Naughty Dog et une manière extrêmement efficace de ne jamais perdre la narration : placer un deuxième personnage contrôlé par l’IA, déballant des commentaires et permettant la discussion et l’observation de ce qui se passe, rend la narration tangible et crédible. Last of Us a poussé le bouchon encore plus loin en plaçant le personnage d’Ellie au centre des attentions et des enjeux. Le jeu n’aurait pas aussi bien marché sans ce duo entre Ellie et Joel improbable et incroyablement touchant. Uncharted 4 reprend cette démarche, puisque Nate se retrouvera rarement seul pendant le titre. On pourrait croire que l’effet aventure s’en retrouve détérioré, mais il permet de garder une certaine fraîcheur et de ne jamais lasser le joueur, grâce à une écriture aux petits oignons et un humour ravageur. Les petites punchlines sont légion, Sam ou encore ce vieux briscard de Sully ne perdent jamais une occasion de balancer quelques piques bien senties. On aura aussi droit à des conversations optionnelles, directement piquées de Last of Us.
Mais c’est aussi dans le game design que l’influence se sent, à commencer par l’agrandissement de l’espace de jeu. On l’a vu dans certaines vidéos, on aura la possibilité de conduire un véhicule dans des zones plus larges qu’à l’ordinaire histoire de déambuler à sa guise et de fouiller les environs à la recherche de trésors supplémentaires. Même lors de niveaux plus « classiques », ce ne sont plus de simples couloirs à suivre, il existe beaucoup de petits carrefours, souvent vers des culs-de-sac. Mais cet aspect permet au joueur de ne pas se sentir confiné sur un chemin précis. C’est très con, mais mettre un embranchement avec deux chemins dans un tunnel qui conduit au même endroit permet de casser la linéarité, légèrement certes, mais sur des petites touches, avec plus ou moins d’importance, jusqu’à se sentir plus libre de ses déplacements. Tout ça passe aussi dans les affrontements, sur des arènes bien plus ouvertes et permettant de contourner les ennemis, avec ou sans grappin. Les gunfights en deviennent plus jouissifs, forçant le joueur à prendre des risques. Des risques mesurés quand on voit à quel point les ennemis préfèrent se préoccuper de vous plutôt que de vos camarades.
Le grappin est notre maître
C’est une des nouveautés de cet épisode : le grappin, objet magique qui permet de s’accrocher à des endroits précis pour descendre en rappel ou se balancer au-dessus d’un précipice, bénéficie d’une physique extrêmement bien sentie et immédiatement fun. On prend plaisir à sauter puis appuyer sur la touche au dernier moment pour se balancer tel un aventurier fougueux, quitte à se rajouter du challenge. Un challenge d’ailleurs quasi inexistant dans les phases de plates-formes, il faut le dire, mais c’est une habitude dans la série. On notera par contre des idées de game design propre à certains niveaux, comme ce passage où s’enchaînent les glissades sur des gravillons pour atteindre certains endroits. Une habitude dont même les développeurs semblent avoir conscience, quand Nathan se plaint de constamment avoir des gravillons dans son pantalon à force de glisser sur des pentes pendant dix minutes. L’aspect infiltration des combats est aussi un poil plus poussé, sans atteindre les ténors du genre. L’apparition d’un indicateur permet de voir si un ennemi (marqué ou non) vous a repéré, mais la facilité déconcertante de prendre à revers tous les ennemis (un mercenaire étranglé dans des hautes herbes devient invisible pour ses potes) ne présente pas de réels dangers. Surtout que le jeu est assez punitif en cas de gaffe, puisque des renforts viendront doubler voire tripler le nombre d’adversaires, vous cernant de toutes parts et rendant le combat bien plus difficile.
On arrive au moment que vous attendiez tous : la partie graphique. Il n’y a pas vraiment de débat à ce sujet à vrai dire : Uncharted 4 est d’une beauté saisissante, un orgasme visuel de tous les instants, une véritable perle ahurissante, blindée de panoramas saisissants qui parvient à nous souffler de plus en plus au fur et à mesure du jeu. Mais ce qui impressionne, c’est la régularité de cette qualité à chaque instant. Il existe beaucoup de jeux dont la réalisation est ternie par quelques petits couacs graphiques qui salissent le tableau. Uncharted 4 est somptueux… tout le temps. On sent le travail de titan pour réaliser un jeu à la hauteur de ses ambitions, tout en insistant sur l’aspect abandonné des lieux : que ce soit la nature qui ait repris ses droits ou les petits détails dans la physique de la végétation, tout est pensé pour en mettre plein la vue. Je ne parle même pas de la destruction des décors, assez ahurissante.
Le jeu est blindé de détails dans tous les sens et montre bien que Naughty Dog est toujours un bon cran au-dessus des autres, déjà d’un point de vue purement technique, mais aussi et surtout grâce à la volonté de proposer un monde complètement cohérent et pas vide de sens. Quand on entre dans un bâtiment, on n’arrive pas simplement dans une pièce avec deux fauteuils et trois bureaux placés n’importe comment. On arrive dans une vraie salle à manger ou dans une chambre avec du vécu, avec tout ce que ça comporte de bibelots, de cartons entassés quand c’est un manoir délaissé, ou de squelettes couchés dans un coin quand ce sont des ruines abandonnées. Un véritable travail d’artisan, et il suffit de voir les screenshots maisons qui parsèment cet article pour s’en convaincre.
La mise en scène du jeu permet aussi d’apprécier la qualité graphique du titre. Les cinématiques mettent en avant la qualité de modélisation des personnages. L’animation faciale, la gestuelle issue de la motion capture, tout est absolument bluffant, et observer toutes les mimiques de Drake, Sully ou Sam est un vrai plaisir pour les yeux et donne aux personnages une véritable âme, encore plus que dans les épisodes précédents. L’écriture des dialogues et la mise en scène permettent de jouer avec leurs expressions pour les mettre en avant. On notera également un superbe travail sur le sound design, une vraie merveille. Marcher sur des planchers en bois, écouter les bruits de la jungle ou du marché environnant, tout est fait avec la même minutie que le visuel, et le jeu est tout simplement un pur plaisir à parcourir. C’est bien simple, il est difficile de ne pas s’arrêter en chemin pour admirer tout ce qui se passe autour de nous. Les musiques signées Henry Jackman (Civil War) sont bien senties, réutilisant à l’envie le thème du jeu mais n’ont pas la couleur et la force des autres épisodes. Par contre, le doublage VF est comme d’habitude excellent.
L’aventurier contre tout guerrier
Petit mot sur le mode multijoueur, qu’on a déjà passé en revue dans ces lignes lors de la Beta. Le multijoueur d’Uncharted 4 est une vraie plus-value dans le sens où il propose un gameplay très efficace calqué sur celui du mode solo, en particulier sur l’utilisation du grappin qui rend les parties virevoltantes et endiablées. Trois modes sont proposés : un classique Team Deathmatch, un mode Domination avec des joueurs bombardés capitaines histoire de pimenter l’action et un mode Course à l’Idole qui demande de ramener une statuette dans son camp. On trouve également des matchs classés pour ceux qui veulent tâter du velu, du vrai, et la boutique permet d’accéder à toute une panoplie de déguisements, d’objets en tout genre pour customiser votre personnage et jouer avec un Drake affublé d’oreilles de lapin. L’action est efficace, les bonus que l’on débloque au fur et à mesure permettent de créer de véritables classes un peu différentes pour assurer un certain équilibre dans l’équipe. C’est fun, immédiat et plutôt poilant. Un mode à ne clairement pas négliger. Nul doute qu’il sera suivi comme il se doit, c’était déjà le cas sur les épisodes précédents.
Uncharted 4: A Thief’s End est une petite bombe, la consécration d’une saga d’aventure qui a réussi à évoluer dans le bon sens. Quand on regarde le chemin parcouru depuis le premier épisode, on ne peut qu’être admiratif. Et quand on observe l’évolution du personnage de Nathan Drake et l’étonnante cohérence des sujets traités à travers la saga, on est subjugué par tout ce qu’a apporté Last of Us sur cet épisode en termes de narration et de storytelling pour mettre encore davantage l’histoire en avant. Il se permet même d’aller plus loin dans le détail, en donnant encore plus d’importance au fameux carnet de Drake et le transformer en une annexe indispensable. Le jeu n’est pas beaucoup plus long que les autres. Comptez une petite quinzaine d’heures. Certes, Uncharted est et restera toujours un jeu de divertissement purement narratif, sans vraiment de challenge, mais propose au joueur de plonger dans un vrai rêve de gosse.
Ce quatrième épisode, se sert de son rythme différent des épisodes précédents, pour mieux incarner ce qu’il est véritablement : un dépaysement total, une immersion dans une histoire prenante et passionnante, un délire nostalgique pour tous ceux qui ont un jour imaginé partir à la recherche de trésors après avoir vu Les Goonies. Uncharted 4, c’est paradoxalement un retour à l’enfance pour vivre pleinement sa soif d’aventures mais aussi un jeu qui traite du monde adulte avec une telle justesse qu’il est difficile d’y rester insensible. Il réussit même à conclure la saga avec brio, en se permettant un épilogue touchant et vibrant. Ce quatrième opus est une ode à l’aventure, un appel vers des contrées inexplorées et magnifiques, au plaisir immédiat et compulsif. Le gamin en moi qui a rêvé un jour d’être archéologue a ressurgi instantanément et s’est totalement passionné pour cette histoire de frangins et de pirates. On pourra reprocher plein de choses au jeu si l’on n’aime pas le genre, mais il est difficile de remettre en question le travail titanesque de Naughty Dog pour proposer l’une des plus grandes aventures que l’on ait vue dans un jeu vidéo. Une chasse au trésor aussi enivrante et époustouflante. Franchement, comment y résister, surtout quand c’est fait avec autant de talent !
Uncharted 4: A Thief’s End
Développeur : Naughty Dog
Éditeur : Sony
Prix : 60 euros
J’ai découvert Uncharted avec la compil sortie l’année dernière et j’ai tout de suite accroché. Pour preuve, j’ai fini les 3 jeux alors que je suis champion du jeu abandonné en cours de route (meme ceux qui me plaisent).
Là j’en suis à la moitié du 4 et je ne peux qu’être d’accord avec cette critique.
J’ajouterai juste que ce qui me bluffe c’est le dynamisme de la mise en scène, très cinématographique. Quand par exemple Nathan saute d’un rocher sur un adversaire, avec la caméra qui le suit.
Du coup je ne peux m’empêcher de dire : à quand l’adaptation ciné ?