
Une histoire du temps (True Detective s3 / HBO / OCS)
True Detective est une anthologie. Mais en saison 3, ce récit — distinct donc des deux précédentes saisons — acquiert un caractère cyclique presque inattendu tant il résonne avec le premier acte de cette trilogie. On pourrait n’y voir qu’une redite mais ce nouvel opus est objectivement fascinant.
Par habitude, True Detective souscrivant au principe de l’anthologie, cette critique commencerait par insister sur le fait qu’il est possible d’aborder la série sans avoir vu les épisodes précédents. Le récit dont il est question ici, situé en Arkansas (le ‘s’ final ne se prononce pas), est effectivement disjoint des événements qui concernent la Louisiane (saison 1) et la Californie (saison 2). Mais comme pérorait Rust Cohle (s1), « Time is a flat circle » ! Et ce troisième acte d’acquérir une toute autre lecture en ayant connaissance du premier (à minima), mais j’y reviendrai.
Vous n’êtes peut-être pas sans savoir que cette série est l’œuvre d’un romancier, Nic Pizzolatto, novice sur le format sériel lorsqu’il se lança dans cette aventure et totalement dépassé par le phénomène qu’elle devint dans le bon comme dans le mauvais sens, exagérément encensée pour ses débuts avec Matthew McConaughey et Woody Harrelson (s1) puis (pour une grande partie) injustement écartée avec Colin Farrell, Rachel McAdams, Taylor Kitsch et Vince Vaughn.
Paradoxalement, ces réceptions contraires seraient de nature à persuader que ce troisième volet pourrait enfin être reçu à l’aune de sa juste valeur. À bien des égards, il se présente justement avec plus de sincérité, dépourvu d’effets de manche.
Ce True Detective (troisième du nom) se nomme Wayne Hays et officie dans le nord-ouest de l’Arkansas. Son partenaire répond au nom de Roland West mais l’accent est porté sur Hays qui assure très majoritairement la position de narrateur. Il nous décrit ses faits et gestes entre trois strates temporelles. En 1980, Hays a 35 ans et officie avec West en tant qu’inspecteur de police d’état. 10 ans plus tard, il occupe un poste de bureau. Enfin en 2015, âgé de 70 ans, il bataille avec des pertes de mémoire. Trois périodes de sa vie durant lesquelles il va enquêter/lutter avec une sombre affaire de disparition d’enfants.
Le rôle de Hays est campé par le remarquable Mahershala Ali (Moonlight, House of Cards, The 4400) qui confie qu’il a réussi à convaincre Pizzolatto de lui accorder le rôle principal. L’auteur concède qu’il était réticent à l’idée. Sans écarter la notion du racisme (dans ce contexte géopolitique précis de surcroît), il ne souhaitait pas en faire son propos principal. Ali l’a convaincu que c’était précisément ce qu’il l’intéressait dans le rôle, la possibilité de faire évoluer un personnage dont le ressort principal ne dépend pas de sa couleur de peau.
Si les repères policiers de la série sont familiers, l’environnement – des décors bien plus arides que dans la verdoyante Ozark (Netflix) – tranche à nouveau. C’est Jérémy Saulnier (Blue Ruin, Green Room) qui se charge de la mise en scène des deux premiers volets. Associé à Germain McMicking (Top of the Lake: China Girl) à la photographie, il souscrit brièvement aux figures de style très True Detective, comme ses plans aériens de circulation routière. Le duo cherche néanmoins rapidement à s’effacer derrière le dénuement de ces patelins sudistes et l’expressivité des regards marquée par ce coin d’Amérique qui semble ne rien avoir à offrir.
Invariablement avec True Detective, l’expression du milieu géographique va de pair avec une musique aussi éloquente que parfaite. Nombreux seront ceux qui plongeront dans la brillante discographie de la chanteuse jazz Cassandra Wilson après avoir découvert le générique. C’est à nouveau T-Bone Burnett qui supervise les affaires même s’il prend du recul sur cette saison et abandonne les apparitions d’artistes, peu convaincantes en saison 2. Côté composition originale, il retrouve son associé habituel, le talentueux Keefus Ciancia (The Fall, London Spy, Killing Eve), lequel donne une coloration plus électronique à ce troisième opus.
Cette continuité de la forme est pleinement assumée et rejoint une reproduction précise de repères caractéristiques. Le duo de flics abîmés que l’on retrouve à différentes époques, la description méticuleuse d’un contexte sinon hostile du moins peu accueillant, des figures graphiques récurrentes (poupées fabriquées) ou encore des personnages patibulaires chevauchant des tondeuses à gazon…
C’est presque comme si Pizzolatto s’amusait à cocher des cases pour induire l’idée d’une répétition forcée. Mais les cinq épisodes (sur 8), que nous avons pu voir, dilue progressivement le procédé. La répétition est, par principe, le ciment de la série et l’auteur de s’approprier des repères immuables pour mieux appuyer et éclairer son propos, son champ de réflexion. D’une saison à l’autre, la continuité nourrit ses enjeux et le recommencement devient le véhicule de ces réflexions. Cet aspect d’une sérialité dans l’anthologie n’est pas forcément tendance dans le traitement actuel de ce format, en particulier dans sa version saisonnière.
Elle permet pourtant de laisser libre court à l’enjeu central de la série. Comme souvent avec Pizzolatto, les citations sont lourdes de sens. Dès le premier épisode, au détour de l’enquête qui amène les inspecteurs dans une école, un poème de Robert Penn Warren est déclamée par une professeure d’anglais, interprétée par l’excellente Carmen Ejogo (The Girlfriend Experience s2). « The name of the story will be Time » récite-t-elle, comme pour faire écho au mantra de Cohle dans la première saison. La question temporelle est d’autant plus prégnante cette saison qu’elle met aux prises Hays avec les faiblesses de sa mémoire. La construction du montage entre pleinement dans cette réflexion et devient prépondérante, peut-être encore un peu plus cette saison, dès lors qu’elle se fait heurtée ou plus fluide au grè des souvenirs du narrateur.
On surveillera le dénouement de ce troisième acte mais déjà se dégage une trame plus à même de souligner les enjeux transversaux de la série. Pizzolatto a pris le temps nécessaire pour cette saison 3 et il s’en trouve revigoré si l’on en croit cette entretien dans lequel il déclare avoir une idée pour un quatrième volet !
TRUE DETECTIVE (HBO) Saison 3 en huit épisodes
Diffusée dès le 14 janvier sur OCS.
Série créée par Nic Pizzolatto.
Saison écrite par Graham Gordy (ép. 6), David Milch (ép. 4) et Nic Pizzolatto.
Épisodes réalisés par Jérémy Saulnier (1 & 2), David Sackheim (3, 6 & 7) et Nic Pizzolatto (4 & 5).
Avec Mahershala Ali, Stephen Dorff, Carmen Ejogo, Ray Fisher, Mamie Gummer, Scoot McNairy, Josh Hopkins et Sarah Gadon.
Musique originale de T Bone Burnett et Keefus Ciancia.
Visuels par Warrick Page © 2018 Home Box Office, Inc. All rights reserved. HBO ® and all related programs are the property of Home Box Office, Inc.