
Untitled Goose Game: l’oie c’est moi
On a beau être habitué aux concepts farfelus et autres délires de la scène indépendante et on pensait avoir tout vu, tout joué. Qui aurait cru que les australiens de House House se seraient lancé dans un jeu de l’oie. Pas celui auquel on pense en premier lieu, vous savez ce jeu de plateau en spirale où le premier qui arrive au bout a gagné. Non, cette oie-là est plutôt espiègle, voire carrément méchante et vicieuse et adore foutre le bordel. Bienvenue dans Untitled Goose Game.
Goose d’aïe
House House est un petit studio australien dont le premier fait d’armes date de 2016, puisque ce sont les chenapans à l’origine de Push Me Pull You, ce jeu multijoueur coopératif très étrange où chaque équipe de deux joueurs est lié sur un seul corps servant à emmener une balle dans leur camp. Perturbant et doté d’un sound design que l’on peut qualifier d’osé, Push Me Pull You possédait déjà un concept fort, crétin, intriguant mais promettant quelques beaux fous rires (parfois gênés, on va pas se mentir). Untitled Goose Game vous place dans les pattes d’une oie flânant dans un quartier britannique légèrement huppé mais pas trop. Son objectif: traverser le quartier en créant le chaos. A la manière d’un jeu d’infiltration, chaque niveau vous proposera une liste de tâches à accomplir, principalement au détriment de ses habitants.
Mais la magie de Untitled Goose Game, c’est sa façon d’habiller cette gratuité un peu mesquine. Arborant un look d’aplats de couleurs charmant et d’une identité musicale adaptative, le titre n’a jamais prétention à éveiller une quelconque cruauté mais simplement d’assouvir des petites farces que l’on rêvait d’accomplir étant môme. Piquer les clés à un jardinier, ôter le tabouret à quelqu’un avant qu’il s’assoie, on enchaîne les méfaits avec un délectable sourire, jusqu’à terroriser un gamin pour qu’il s’enferme dans une cabine téléphonique. Difficile de trouver plus grand plaisir coupable que d’être l’électron libre d’une machine bien huilée, à la manière d’un Hitman mais sans la corde à piano.
Etre le tyran d’un quartier tranquille, c’est bien beau mais quand on y dirige une oie à l’animation géniale, avec cette petite course chaloupée et ses cacardements comme des coups de klaxons réprobateurs, c’est un véritable délice pour le garnement qui sommeille en nous. Rien ne trahit une violence déplacée, tout est fait dans une douceur étonnante qui préfère l’absurde gentillet plutôt qu’une vulgarité trop crue. Et la musique joue énormément sur cette impression. House House a tellement eu d’échos positifs sur le premier trailer, illustrant les séquences avec une douce musique au piano s’adaptant à la situation que le studio a décidé de s’en servir. Le compositeur Dan Golding a donc utilisé le Prelude N°12 de Debussy pour habiller le titre, parvenant à enquiller le rythme du piano lorsque l’oie se fait poursuivre par les habitants ou utiliser juste quelques notes lorsque l’animal avance discrètement derrière sa future victime. Le résultat est incroyable et participe à la saveur particulière du jeu.
L’oie du plus faible
Si l’oie peut créer le chaos comme elle veut, le joueur doit suivre une liste de tâches à compléter à chaque niveau pour espérer poursuivre l’aventure. L’objectif pour chaque petite mission sera de décrypter ce qu’on nous demande et de trouver le moyen d’y parvenir. « Piquer les clés » du jardinier est plutôt évident, même s’il faudra faire preuve de patience pour réussir, mais « faire en sorte que le jardinier mettre son chapeau » sera par contre plus délicat puisqu’il faudra observer sa routine et dénicher son point faible. De la même manière qu’un Hitman, voler des sacs d’engrais ou faire tomber un panneau en bois ira déclencher des scripts bien spécifiques généralement utiles à votre progression. Une fois la majorité des tâches accomplie, il faudra en effectuer une dernière pour que cet événement débloque l’accès à la zone suivante. On pourra donc éviter un des objectifs à faire, une initiative franchement bienvenue tant certaines demandes sont parfois un peu cryptiques.
Si Untitled Goose Game possède des environnements suffisamment variés pour assouvir ses petits plaisirs simples de boxon improvisé et cacarder en toute liberté, il n’en demeure pas moins assez court, puisque deux-trois heures suffiront à travers les 5-6 niveaux que contient le jeu. Le titre rajoutera quelques objectifs supplémentaires pour harceler encore plus les habitants du coin-coin, mais ce sera surtout des variantes des tâches principales qui ne retiendront pas longtemps le joueur aguerri. Un peu chiche, car on aurait aimé rallonger le plaisir. Enfin, la jouabilité de l’oie est plutôt bonne, mais certains niveaux offrent quelques impasses pointeront des soucis de collision lorsque l’animal est poursuivi, ce qui arrive surtout dans la dernière ligne droite, pas forcément la plus réussie.
Untitled Goose Game fait sensation ces derniers temps, et on comprend parfaitement l’engouement autour du titre. Malgré sa trop faible durée de vie et ses quelques soucis de collision, il offre une parfaite récréation régressive mais jamais cruelle. Faisant resurgir à la surface les désirs les plus viles du garnement qui sommeille en chacun de nous, ce jeu de l’oie arrive à garder une douceur étonnante et préfère la poésie burlesque de Chaplin plutôt que le teen-movie moderne parfois cradingue. Ça fait un bien fou et c’était la bonne direction à prendre pour ne pas se sentir coupable de faire trébucher un gamin à lunettes dans une flaque d’eau. Rassurez-vous, il va très bien. Enfin, je crois.
Untitled Goose Game
Développeur: House House
Prix: 15 euros
Plate-formes: Nintendo Switch / PC / Mac