
Urgences : le changement, c’était il y a 20 ans
19 septembre 1994 / 19 septembre 2014. La diffusion de 24 Hours, le pilote de la série créée par Michael Crichton, célèbre son vingtième anniversaire. L’occasion de revenir sur l’héritage d’une série médicale qui a marqué toute une génération (mais aussi la télévision).
C’est l’histoire d’un programme qui s’inscrit dans la légende du petit écran américain. Une série dont on rappelle souvent qu’il s’agit d’une des fictions les plus primées de la télévision US… alors qu’au départ, personne n’y croyait.
C’est aussi un drama medical qui a fait basculer la France dans une nouvelle ère de diffusion des séries en prime-time, quelques mois après le séisme X Files et plusieurs années après le succès des Dallas et autres Dynastie. Vingt ans après, l’empreinte qu’elle a laissé dans l’imaginaire de toute une génération de téléspectateurs est toujours aussi nette.
Les uns continuent de chercher Carol Hathaway parmi les infirmières lorsqu’ils vont à l’hôpital, les autres frémissent en repensant à l’agression de Lucy Knight (quand ils ne fondent pas en larmes en songeant aux derniers jours de Mark Greene).
Le lien entre deux âges de la télé
« Urgences, une série phénomène », comme on disait dans les années 90 ? Oui, pour toutes ces raisons. Mais aussi aussi pour plein d’autres.
Authentique chaînon entre les séries de la Quality TV des années 80 (Hill Street Blues, dont elle est la digne héritière, encore plus que St Elsewhere ou La Loi de Los Angeles) et l’avènement des séries originales du câble, la série produite par Steven Spielberg a su reprendre l’héritage des premières pour aller encore plus loin et ouvrir la voie aux secondes.
L’héritage, c’est l’exploration de la structure modulaire des épisodes, avec des intrigues bouclées à chaque épisode et des histoires feuilletonnantes. La grande force de la série, c’est aussi de présenter une vraie radiographie de la société américaine entre 1994 à 2009. Le système de santé et son évolution sont au cœur du propos de la série, même dans les heures les plus soapy du show. L’exemple-phare ? La façon dont la question du sida est montrée à l’écran, avec le parcours de Jeanie Boulet mais pas seulement.
Un singulier regard sur l’univers médical
« Ce qui avait frappé Michael Crichton lors de son passage aux urgences dans les années 70, c’est le côté spectaculaire des situations auxquelles on pouvait être confronté et la maturité du personnel médical pour y faire face », raconte le docteur Benoît J. Papon, médecin en charge de la version française.
Urgentiste lui-même, le médecin français connaît intimement la série. Parce qu’il a passé de longs week-ends à traduire les séquences médicales du show de NBC et France 2 mais aussi parce que l’histoire de Mark Greene, John Carter, Abby Lockhart ou Archie Morris, c’est un peu la sienne aussi.
« Si l’irruption des problèmes de la ville dans l’hôpital est au cœur des histoires, c’est parce que, quand vous êtes aux Urgences, tout se joue dans un couloir avec deux portes battantes de chaque côté. Et la vérité, c’est que l’on ne sait jamais celui ou celle qui va franchir ces putain de portes : un pompier en train de faire un message cardiaque à un mort, une gamine avec une bille dans le nez… moi, quand j’ai fait mes études aux Etats-Unis, je n’avais qu’une seule question : est-ce que je saurai faire ? ».
(Benoît J. Papon, urgentiste et en charge de la version française)
Une identité visuelle intacte sur 15 ans
Cette ambition narrative a toujours été prolongée par une ambition de mise en scène forte et finement pensée. Là où le style « fausse caméra à l’épaule » de Gregory Hoblit a rapidement viré au procédé dans NYPD Blue ; là où Barry Levinson a dû mettre la pédale douce sur les faux-raccords et l’image rèche de Homicide dans les cinq dernières saisons de la série, Urgences a toujours conservé une vraie unité de réalisation. Pendant 15 saisons.
Rois des plan-séquences filmés en steadycam d’une seule traite dans les salles de trauma, Rod Holcomb (réalisateur du premier et du dernier épisode), Christopher Chulack, Christopher Misiano, Jonathan Kaplan et tous les autres ont en fait traduit à l’écran l’objectif premier de Crichton : plonger le téléspectateur dans une sorte de chaos maîtrisé, un peu comme lui l’a été pendant ces études.
Ce faisant, les réalisateurs de la série ont aussi martelé la dimension très théâtrale de la série. Normal : John Wells, l’emblématique producteur exécutif, vient lui-même du monde du théâtre.
« Je me souviens quand nous filmions en steadycam des séquences auxquelles prenaient part 20, 30, voire 40 personnes dans cinq, six ou sept salles différentes. C’était excitant, c’est ce qui se rapprochait le plus de jouer une pièce de théâtre devant une caméra »
(Noah Wyle – Retrospective finale de la série en 2009)
« C’est ce qui nous tenait en éveil : la réalité de la situation imposait que la caméra colle à ce qui se passait dans la réalité »
(Anthony Edwards – Retrospective finale de la série en 2009)
Wells, le boss d’une série de gauche
Garant de la production de la série de 1994 à 2009 (quand bien même le poste de showrunner aura été successivement tenu par Lydia Woodward, Jack Orman, Christopher Chulack, David Zabel et lui-même), Wells a imposé sa patte sur une série dont Crichton a été progressivement éloigné, dans le courant de la saison 2. Dans une interview accordée à Playboy à la fin des années 90, le papa de Jurassic Park ne cache d’ailleurs pas une certaine rancœur sur le sujet.
Avec Spielberg parti lui-aussi sur d’autres projets après avoir été assez présent pendant le développement de la saison 1, l’ancien producteur de China Beach a surtout façonné une fiction qui ne parle seulement de la santé aux Etats-Unis, mais porte un vrai discours politique sur la question. Plus que The West Wing, la vraie série de gauche aux Etats-Unis dans les années 90 et 2000, c’est Urgences.
« Alors que de plus en plus de séries se montrent conservatrices, politiquement correctes, Urgences, tout au long de ses 15 saisons, réussit à rester profondément athée, humaniste, et donne constamment la parole aux laissés pour compte de la société américaine »
(« 15 ans d’Urgences » – Feyrtys On Wheels)
On a parlé du Sida ? Urgences, c’est aussi un regard très juste sur l’homosexualité et le regard qu’on lui porte (plus souvent dans l’évocation des patients que dans la description du parcours de Kerry Weaver cependant). Mais c’est aussi vrai pour la transexualité, les violences domestiques, le manque de moyens pour se soigner, les inégalités mondiales face aux soins (en République démocratique du Congo et au Darfour)…
Ce show est surtout l’un des exemples les plus brillants de ce qu’est une série portée par un propos. C’est ce qui en a fait un hit sur une grande chaîne… et c’est ce qui manque le plus aujourd’hui sur les networks.
Une génération d’auteurs et des déceptions
Longtemps écrite par une équipe resserrée, la série qui se déroule au Cook County a progressivement mis le pied à l’étrier à toute une génération d’auteurs américains. Si, pour certains, l’expérience a tourné court (Doug Palau, ancienne plume de Law & Order, David Mills, futur scénariste de The Wire et Treme), d’autres sont devenus au fil des années, les relais de l’ambition de Wells. Ils s’appellent R. Scott Gemmill, Joe Sachs (NCIS Los Angeles), Carol Flint (The West Wing), Lisa Zwerling (Flashforward) ou Meredith Stiehm (Cold Case).
Le paradoxe ? Les plus brillants sont aussi ceux qui jusqu’ici ne sont jamais totalement parvenus à confirmer l’étendue de leur talent hors des salles de traumatologie. Si Dee Johnson (saisons 7 à 11) travaille aujourd’hui sur Nashville après un passage sur The Good Wife, Jack Orman et Lydia Woodward, deux ex-showrunners de la série, ont essuyé plusieurs échecs sur les projets qu’ils ont porté (Citizen Baines, Pan Am, Dr Vegas). Pareil pour David Zabel, excellent scénariste mais showrunner franchement moyen (Detroit 1-8-7, Betrayal).
Serait-ce difficile de tuer le père (ou le frère, pour Woodward) ? Peut-être bien. Lancer une série en 2014 n’a, il est vrai, plus grand’chose à voir avec ce qu’a vécu Urgences.
Reste donc un héritage, considérable et dont la puissance évocatrice se retrouve dans de très nombreuses séries aujourd’hui. Oui : Urgences, c’est définitivement plus que la formule « NFS Chimie Iono ».
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Toujours bien de lire des billets sur Urgences 🙂
En revoyant le pilote il y’a peu, c’est très bizarre de voir à quel point Carole devait mourir dans ce pilote, et comme ils ont rajouté une possible survie à l’arrache dans les dernières minutes.
ce que je trouvais génial dans les premières saisons c’ est la façon de sauter d’ une intrigue à l’ autre dans le meme couloir, plan etc…..je trouvais qu’ils arrivaient à couper avant que ça commence à devenir emmerdant
ça s’ est beaucoup perdu dans les dernières saisons