
Where the Water Tastes like Wine : sur la route de Memphis
Where the Water Tastes like Wine. Derrière ce titre mystérieux et à rallonge (que l’on va désormais appeler WTWTLW) se cache l’équipe de Dim Bulb Games, fondé par un ancien de 2 K Marin et qui a officié sur Tacoma ou Gone Home. En somme, Johnnemann Nordhagen est un gaillard pour qui la narration dans un jeu prend une place sacrément importante. Ça tombe bien, WTWTLW est décrit sur son site officiel comme « A Bleak American Folk Tale ». Tout un programme.
J’ai rencontré le diable
Vous incarnez l’étranger du coin, à la recherche d’un point de chute. Vous rentrez dans une taverne douteuse où se déroule une partie de poker et prenez une chaise pour participer. L’un des joueurs, dans l’ombre, vous fixe du regard et ne vous lâche plus. Bientôt, chacun des participants jette l’éponge et il ne reste plus que vous et votre mystérieux adversaire. Sentant la chance de votre côté, vous misez le tout pour le tout sur une main gagnante. Manque de pot, elle n’est pas assez forte pour remporter la victoire, et vous vous trouvez à la merci de l’obscur vainqueur, qui dévoile alors son apparence : un homme à tête de loup, le diable en personne. Celui-ci vous propose un pacte pour vous acquitter de votre dette : parcourir tout le pays pour y récolter des petites histoires qui en formeront une grande. Dénicher les anecdotes, les contes, les péripéties, les souvenirs des gens qui ont fait l’Amérique, et dresser une carte de ce pays hors du commun.
Le joueur se retrouve donc propulsé sur une carte en 3D, représenté par un squelette armé de son simple baluchon, marchant au gré des routes pour y écouter les histoires. Propulsé comme ça sans prévenir, le titre ne vous fait pas de cadeau, sans aucun autre objectif pour vous guider que l’envie d’écouter des histoires. Difficile de s’accrocher à ça et de prendre une direction au hasard, WTWTLW n’expliquant peu ou prou son système de jeu. Puis on tombe sur une maison abandonnée à fouiller, une cabane délabrée ou un champ de maïs aux cultures fertiles. On se surprend à écouter les histoires des gens qui y habitent. On écoute cet homme cherchant son gamin dans une ferme pour finir par le trouver enseveli dans le silo à grains, ce couple de New York au chômage, mais que l’amour préserve d’une rupture, ces deux frères qui ont mis trente ans pour se retrouver enfin, ou encore ces femmes scientifiques bravant les tempêtes dans l’Ohio pour les étudier. Il y a plus de 200 histoires comme celles-ci qui seront toutes répertoriées dans votre inventaire, et classées suivant plusieurs catégories comme Avenir, Tristesse ou Autorité.
La carte du jeu vous offrant littéralement tous les états américains à traverser, on visite les grandes cités américaines (via des menus, hein) en plein cœur de la prohibition des années 30, et l’on écoute même ce qui se dit dans les villes pour y chercher du travail ou dénicher les légendes urbaines. On entend des histoires que l’on connaît déjà, interprétées différemment, au sens différent. Peut-être que vos choix dans les dialogues ont mal interprété une histoire, toujours est-il que les histoires se transforment, s’enjolivent et mûrissent. Cette fillette avec son panier de chatons qui a tenté de vous faire une farce se transforme alors en une sorcière maléfique qui a failli vous jeter un sort, ou encore cette rencontre entre les deux frangins qui n’était pas forcément le fruit du hasard. Des histoires banales se transforment en légendes, des contes étranges perdent de leur magie, tout ceci pour former un manifeste d’une Amérique rurale où chacun ira puiser son sens profond pour en tirer quelque chose.
Bone Collector
Et c’est là que vous intervenez, en croisant lors de vos aventures plusieurs personnages signalés par un feu de camp. Ces personnages spéciaux vous raconteront alors leur histoire, seulement si vous parvenez à raconter les vôtres suivant leurs envies. Si votre interlocuteur demande une histoire drôle, ce sera à vous de dénicher la perle rare susceptible de le faire rire, dans votre catalogue. Plus vous réussissez à répondre à ses demandes, plus il s’ouvrira et vous offrira sa propre histoire, riche, drôle, tendre et touchante. Que ce soit un poète désabusé à la recherche de sa propre sexualité, un portier noir observant ce qui l’entoure ou d’une Indienne Navajo en quête de spiritualité, les multiples rencontres étofferont le passé de ce camarade de voyage, pour peu que vous lui fournissiez des histoires nouvelles à chaque fois.
Vu comme ça, WTWTLW paraît riche et passionnant à suivre. Sauf que le jeu possède un « léger » problème qui le plombe littéralement dans sa narration : la partie 3 D. Autant les encarts de textes sont agrémentés de sublimes illustrations, autant le déplacement de votre personnage sur la map est d’une lenteur extrême, exaspérante, ponctué par de multiples allers-retours pour aller voir ces fameux personnages qui bougent sans cesse. La carte en elle-même bénéficie d’un traité particulier, qui disons-le, est loin d’être une excellente idée. La simplicité de la modélisation, le choix esthétique des textures pour habiller l’ensemble, la caméra imprévisible… Rien n’est là pour rendre l’expérience agréable à l’œil. Le tout est en plus plombé par des ralentissements et des lags incompréhensibles quand on voit la pauvreté de l’ensemble, et aucune mise à jour n’est venue régler le souci à l’heure actuelle.
Il y a bien quelques éléments vous aidant à parcourir les distances plus rapidement, comme faire du stop sur quelques kilomètres, prendre le train entre les villes (pour peu que vous ayez assez d’argent) ou encore siffloter en marchant et en appuyant sur les bonnes touches en rythme pour accélérer le pas. Une pratique lourdingue au possible, qui en plus se paye la mauvaise idée de rajouter une musique sifflée qui n’a rien à voir avec celle jouée en fond sonore. Une fonction qui transforme la chouette BO du titre en une cacophonie assez infecte à écouter. Tout ceci constitue un défaut sur lequel on pourrait passer vu la qualité d’écriture, mais la partie du voyage est tellement présente qu’il est impossible d’y échapper, alors que le jeu aurait très bien pu se passer de tout cet aspect et aller vers un côté « le livre dont vous êtes le héros ». Au lieu de ça, WTWTLW s’embourbe d’un système « ludique » pour justifier son appellation jeu vidéo, ruinant totalement l’immersion qui aurait pu le porter très haut, surtout quand on profite de la bande-son country très réussie du jeu.
Timber Country
L’interface rudimentaire n’est pas en reste, puisqu’en dehors des options très basiques qui ne permettent pas de paramétrer grand-chose, le système de jeu n’est jamais là pour aider le joueur. Lors de vos discussions avec les personnages spéciaux, il ne suffira pas de lire la catégorie dont fait partie l’histoire pour savoir si elle est drôle ou non. On ne connaît que le titre de l’histoire ainsi qu’un bref résumé, et il faudra compter sur sa mémoire pour se souvenir de quoi ça parle exactement. Vu que les histoires s’accumulent très vite, cela devient très difficile de choisir la bonne et le manque cruel d’indications fait qu’on se trompe beaucoup face à un chanteur qui désirait juste écouter une histoire enivrante et qu’on lui offre une autre qui donne envie de se pendre.
Where the Water Tastes Like Wine est un jeu qui aurait pu être grandiose, un titre riche sur l’Amérique en pleine reconstruction, dont vous êtes le porteur d’histoires, un témoin du passé chargé de collecter la mémoire de chacun, parvenant à aider des âmes en quête d’inspiration pour se relever et mieux affronter leur existence. En l’état, il y arrive très bien, grâce à une écriture incroyable et sensible, et un travail sur la bande-son exemplaire. Mais diable pourquoi avoir rajouté toute cette couche de jeu vidéo lambda, transformant un titre passionnant en quelque chose de ronflant et ennuyeux, avec une carte 3D hideuse, une lenteur exécrable et un système de jeu (faim/santé) bien trop flou pour être légitime ? Une occasion loupée, un jeu qui veut en faire trop, pensant à tort que le narratif ne doit pas être l’unique moteur d’un jeu. À recommander aux plus courageux.
Where the Water Taste like Wine
Développeur : Dim Bulb Games
Prix : 20 euros
Plates-formes : PC/MAC/Linux