Whisky, d’Hugues Micol

Whisky, d’Hugues Micol

Note de l'auteur

Voici le livre de tous les vertiges. Hugues Micol convoque couleurs, proportions, compositions et accumulations pour créer sa narration. Au fil de tableaux évoquant Otto Dix et les collagistes, d’une beauté à couper le souffle.

L’histoire : Pas d’histoire à proprement parler, mais des « tableaux » dans au moins deux acceptions : des présentations très picturales du Far West et des sortes de scènes théâtrales figées. Instantanés de paysages quasiment vides ou de villes surpeuplées.

Mon avis : Voici le livre de tous les vertiges, disais-je en introduction. Et à quel titre ! Hugues Micol joue sur les volumes du paysage et les perspectives, ainsi que sur les rapports du vivant et du minéral, pour créer mouvement, sens, atmosphère, sensation. Tout part d’un déséquilibre des formes pour provoquer l’avancée du regard. Le minéral et le végétal sont parfois prépondérants, tout comme les éléments. Au détour de « Piégé dans le canyon maudit », on découvre ainsi une tempête de sable semblable à une montagne liquide retombant en raz-de-marée corrosif.

« Les terres invisibles »

Vertige des proportions corporelles, aussi. Le rapport des corps entre eux, du corps avec lui-même, de la taille du chapeau (comme attribut quintessentiel du cowboy) à celui qui le porte, du cowboy à son cheval… Tout est troublant dans ces scènes, « uncanny » diraient les Anglais ; « l’inquiétante étrangeté » en français dans le texte.

Les tableaux arborent souvent une apparence de collage, où les couleurs opèrent comme un vitrail. Voyez « Les Mines de feu » et leur incroyable vertige de couleurs et de textures. Ou encore « Les hommes meurent à Providence », qui fonctionne comme une représentation classique dans sa composition et à la fois abstraite, cubiste voire dada dans son expression. La Pietà de Michel-Ange peinte par Otto Dix.

Voyez aussi « Les Terres invisibles » : une extraordinaire composition collagesque, où les personnages forment ensemble un totem, voire un méta-totem, au cœur du tableau. L’histoire du Grand Ouest résumée en une galaxie comprimée.

Certes, ce Whisky n’est pas à proprement parler une bande dessinée. Mais comme toujours lorsque le livre « fonctionne », la narration naît de l’enchaînement des pages, créant une séquence de facto. Cette mécanique de quasi-chromos engendre une lecture trouble et troublée, comme un kaléidoscope.

« On l’appellera Los Angeles »

« Soldats du diable » a quelque chose du Douanier Rousseau dans sa luxuriance. Dans « On l’appellera Los Angeles », le mouvement dada n’est pas loin : la couleur, l’accumulation d’éléments, le jeu sur les transparences. On dirait une procession de Francis Picabia. « Le Train du carnage » (voir en fin d’article), avec sa galerie de trognes convoquant James Ensor, ses proportions désaxées et ses perspectives démantibulées.

Les scènes d’Hugues Micol expriment aussi la terrible solitude de l’être humain. Même dans la foule, il est seul ; face à un Indien, il sort son colt, tire et tue. Voyez « Vengeance éternelle » – un titre des plus expressifs – où un cowboy flingue un Indien dont le haut du corps disparaît derrière un rocher, comme avalé par le socle minéral. C’est le Cowboy qui, de tous temps et par essence, a tué et tuera l’Indien. Et l’Histoire, tel le Rocher du désert, fera pour toujours retomber l’Indien dans l’ombre et l’ignorance. Que reste-t-il alors ? « Bad Sandy et Lucky Gun », le Cowboy et son Cheval, avançant tous deux tête basse sur fond de montagnes arides et de couleurs étouffantes.

« Vengeance éternelle » et « Bad Sandy & Lucky Gun »

Après les taches de couleur à la Kandinsky de « Printemps sanguinaires à Santa Fé », observez « Le Cabaret des confins ». La multiplication des personnages y rappelle les peintres du Moyen Âge, les Brueghel et autres Jérôme Bosch, et leurs grandes compositions de beuveries, de fêtes paysannes ou d’Enfers surpeuplés.

« Le cabaret des confins »

Mêlant gouache et aquarelle, Whisky n’a été tiré qu’à mille exemplaires. Il peut s’accompagner de Bourbon, un feuillet inédit de seize pages (vendu à part). Hugues Micol y présente seize portraits réalisés à l’encre de Chine, tels des daguerréotypes de personnages du Far West… dont un certain nombre de femmes.

Si vous aimez : De Sergio Leone à Moebius, les créateurs qui explorent d’un œil neuf les plaines poussiéreuses et les montagnes écrasantes du Far West.

En accompagnement : Le catalogue de l’exposition « Couples modernes », qui s’est tenue jusqu’en août 2018 au centre Pompidou de Metz, et où l’on pouvait notamment découvrir des œuvres de Sophie Taeuber et Jean Arp. Et bien sûr Bourbon, du même Hugues Micol. Sans oublier un détour par la galerie parisienne Arts Factory qui, du 29 novembre 2018 au 19 janvier 2019, exposera les originaux de Whisky (dans leur format d’origine 50 x 65 cm).

Whisky
Écrit et dessiné par
Hugues Micol
Édité par Cornélius

« Le train du carnage »

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