
Whitney : une femme sous influence
Grand réalisateur de fiction et documentariste d’exception, Kevin Macdonald retrace le chemin de croix d’une diva de la pop, rongée par ses démons et victime de son entourage.
Le 11 février 2012, la diva de la pop lyophilisée succombe dans la baignoire d’une chambre du Beverly Hilton Hotel de Los Angeles. Whitney Houston a 48 ans, mais cela faisait des années qu’elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, rongée par la cocaïne, le crack, les médicaments et l’alcool, alternant come-back pathétiques devant des foules hilares et passages devant le juge, suite à sa relation destructrice avec son bad boy de mari. Pourtant, durant une décennie, Whitney avait été au sommet du monde, accumulant les records (200 millions d’albums vendus), les récompenses, les contrats faramineux et même un début de carrière fulgurant au cinéma. Excellent réalisateur de fiction (L’Aigle de la neuvième légion, Le Dernier Roi d’Écosse), grand documentariste (Marley, Being Mick, Un jour en septembre), le Britannique Kevin Macdonald s’attaque aujourd’hui à cette icône de MTV. Pourtant, on est loin des précédents docs musicaux où Macdonald s’intéressait des légendes de la musique comme Bob Marley ou le chanteur des Rolling Stones. La musique de Whitney Houston, c’est quand même de la grosse soupe pop, chantée en force, des tubes où il est question d’amouuuuur (l’insoutenable I Will Always Love You, B.O. de Bodyguard), pas vraiment destinés à rester des standards de la soul US. Pourtant, Macdonald parvient à réaliser un film magnifique et bouleversant. Car ce qui est hallucinant dans le destin de Whitney Houston, c’est le contraste, l’abîme, entre l’image proprette et aseptisée de cette jeune fille belle et sage, et ce destin de toxico largué à la Kurt Cobain, (vous connaissez peut-être la photo célèbre de sa salle de bain d’Atlanta dévastée, jonchée de drogues et de pipes à crack). Avec d’incroyables images d’archive et une quarantaine de témoignages, Kevin Macdonald se lance à la poursuite de cette femme brisée, cherche à révéler le vrai visage derrière le masque.
Tout commence très tôt, très vite, très fort. Sa mère est la chanteuse de soul et gospel Cissy Houston, choriste d’Elvis Presley et d’Aretha Franklin, tante de Dee Dee et Dionne Warwick. Whitney est belle, douée, dotée d’une voix d’ange. Elle chante à la chorale de l’église, remplace une fois sa mère à la télé et voit sa carrière propulsée dans les étoiles grâce à ses clips qui passent en rotation sur MTV et enflamment le public blanc. Surnommée « Whitey » par ceux qui trouvent sa musique trop calquée sur le goût des blancs (et qui ont parfois hué sa peau trop claire), taxée d’homosexualité, elle épouse le rapper Bobby Brown, véritable plan marketing pour la crédibilité black et preuve ultime d’une orientation sexuelle plus acceptable pour le public de l’époque. Mais, tandis que Whitney Houston accumule les dollars et les tubes (c’était vraiment la Beyoncé des années 90), sa vie tourne au désastre, son père part avec la caisse, son mariage est un cauchemar et elle se perd dans une fuite en avant suicidaire.
Le doc prend alors la forme d’une insoutenable descente aux enfers. « Je crois qu’il n’y a pas de hasard si les trois plus grandes stars noires des années 1980, Michael Jackson, Whitney Houston et Prince, sont tous morts à quelques années d’intervalle et dans des circonstances similaires, assure Macdonald. Tous les trois étaient toxicomanes, solitaires et s’interrogeaient sur leur identité raciale. » On voit donc Whitney Houston manipulée, cernée par les parasites et les profiteurs, consumée par les drogues, seulement véritablement heureuse sur scène. On découvre Whitney en coulisse, avec ses frères junkies, avec l’amour de sa vie, son assistante Robyn Crawford, sa relation infernale avec Bobby Brown, « musicien » jaloux et bas de plafond, avec qui elle rêvait de constituer un couple hétéro parfait. Le montage, qui a duré 18 mois, nous plonge au cœur du chaos, enchaîne les révélations, à la manière d’un puzzle qui se reconstitue sous nos yeux. Puis, des membres du clan Houston livrent LA pièce manquante du puzzle Whitney : elle a été victime d’abus sexuels, étant enfant, comme un de ses frères. « Cette révélation est arrivée tard dans l’enquête, précise Kevin Macdonald. Mais elle m’a semblé essentielle pour expliquer pourquoi Whitney avait cherché à tout prix à sauver son mariage, pourquoi elle s’était autant cherchée sexuellement et pourquoi, malgré de nombreuses cures, elle ne s’est jamais guérie de ses addictions. L’abus sexuel est devenu la clé du mystère Whitney.» C’est inattendu, dingue, bouleversant, et Macdonald te propulse dans une autre dimension. La diva aux millions de disques vendus est une petite fille abîmée, perdue, détruite, comme des milliers de victimes d’abus. Absente à elle-même et aux autres (elle a été incapable d’élever sa propre fille), elle grimpe les dernières marches du toboggan vers l’enfer, sous les quolibets de ses fans et des internautes. Son concert-hommage à Michael Jackson en 2001 fait pitié, elle annule en série les dates de sa tournée-chemin de croix (Nothing but Love Tour), devient l’ombre d’elle-même, se ridiculise en direct à la télé. Tout se met en place pour le sacrifice final et le spectateur se recroqueville dans son fauteuil. Pourtant, Macdonald ne joue jamais la carte du misérabilisme. Cette femme qui semblait tout avoir, n’était qu’un cri, un fantôme dans une coquille vide.
La veille des Grammy Awards de 2012, elle se prépare un cocktail à base de Xanax, un anxiolytique dont elle raffolait, de médocs énergisants, d’alcool… Trois ans plus tard, sa fille Bobbi Kristina, est retrouvée inconsciente dans sa baignoire, sous overdose.
Elle restera plongée dans le coma six mois avant de décéder. Elle avait 22 ans.
La tristesse sera infinie…
Whitney
Documentaire de Kevin Macdonald
En salles le 5 septembre 2018.