
William Simpson, Storyboarder de Game of Thrones : « Le storyboard est un outil de résolution du problème »
Quelque soit votre état d’addiction à Game of Thrones (patients impatients qui attendent la diffusion de ce soir sur OCS City à 20h55, noctambules heureux qui se sont réveillés cette nuit à 3h du matin ou accros qui ont déjà vu tous les épisodes qui ont fuités sur Internet), nous vous proposons pour fêter le retour des héros les plus mortels d’HBO une interview réalisée dans l’un des temples geeks français, le Toulouse Game Show en novembre dernier. William Simpson, storyboarder de la série évoque pour nous sa vision et son travail dans l’univers de Georges R. R. Martin.
Étiez-vous un fan des livres Game of Thrones avant de travailler sur le projet ?
J’avoue que les romans, le phénomène Game of Thrones parce que les livres sont des best-sellers c’est vrai, je suis passé totalement à côté. A cette époque je travaillais beaucoup, sur des projets personnels, j’écrivais mes propres histoires et, du coup, ce n’est pas que je ne voulais pas, mais je n’avais simplement pas le temps de lire. Et quand j’ai commencé à travailler dessus pour ce qui aller être la série Game of Thrones, en plus je travaillais à partir de scripts dont le titre avait été effacé. Je ne savais pas du tout sur quoi je travaillais, j’étais complètement à l’aveugle.
Les Marcheurs Blancs sont des personnages fascinants de la saga. On ne les aperçoit que quelques secondes et pourtant, ils réussissent à être à la fois effrayants, dignes et on les voit déjà avec le respect dû à des êtres ancestraux de cette terre plutôt que comme des bêtes. Comment les avez-vous créés ?
C’est marrant parce que c’est un des éléments pour lesquels je me suis vraiment replongé dans les descriptions de George (R.R. Martin, auteur de Game of Thrones) dans le premier livre : armure de glace, ce côté très ancien, quasiment primaire, cette méchanceté. Mais ce qu’on voulait, ce que je voulais par-dessus tout, c’était traduire ça par une atmosphère. Donner plus d’importance à l’atmosphère qu’à la matière. On ne voulait pas trop en montrer, parce que les monstres que vous voyez trop, vous n’y croyez plus au bout d’un moment. Soit vous vous dites que c’est un mec dans un costume et donc ça ne marche pas. Soit dans le cas des effets spéciaux, quand vous les voyez, ça vous fait sortir directement de l’histoire donc il fallait faire attention. Du coup, l’idée c’est de les montrer de manière fugitive, qu’on les voit suffisamment pour qu’ils fassent peur, qu’on ressente un malaise et qu’ils marquent la rétine et que l’imagination du spectateur fasse le reste. Forcément quand on n’en voit pas trop, l’imagination travaille et c’est génial. Ca a été vraiment ça le but, de ne pas trop en montrer, surtout dans la première saison, et de créer cette espèce de force vraiment primitive, malicieuse dans le sens voulant du mal. C’est ce qu’on a essayé d’insuffler et je pense que ça a marché.
En termes de point de vue, quand vous créez les storyboards de Game of Thrones, est ce que vous vous placez du point de vue du spectateur ou dans l’œil du réalisateur, comme un outil pour lui ?
On ne peut pas tout à fait séparer les deux : c’est certain que dans un premier temps, le storyboard est un outil de résolution de problème, avec toutes sortes de paramètres liés à la production mais aussi artistiques. C’est une aide pour le réalisateur, pour qu’il puisse anticiper, savoir où placer sa caméra, quel angle prendre. Le but c’est de l’aider à avoir une certaine vision de l’épisode qu’il va réaliser. Mais d’un autre côté, tout ceci ayant pour but de prendre le spectateur par surprise, de le passionner, de le rendre captif de tout ça, forcément on a en tête cet objectif final qui est d’intéresser et de captiver le spectateur en lui fournissant des informations claires et précises, que ce soit extrêmement lisibles. Donc l’un ne va pas sans l’autre en réalité.
Quelles sont, pour vous, les différences de travail entre l’écriture de comics ou de bandes dessinées et le travail en tant que storyboarder ?
La différence fondamentale en fait c’est que le storyboard est un moyen de résoudre des problèmes sur une production que ce soit celle d’un film ou d’une série comme Game of Thrones. En un sens, ce n’est pas une forme d’art in fine. Ce sont toujours des plages de 4 cases avec toujours une information partielle qui est donnée. Ce qui fait que mises bout à bout les différentes planches de storyboard vont former une séquence narrative qui va aider le réalisateur à faire son travail, mais en tant que telle, la planche n’a pas de valeur artistique réelle. Elle peut en avoir, on peut la retravailler et elle peut exister avec une forme d’intégrité artistique, mais ce n’est pas son but premier.
Même si elle a un but dans la séquence narrative, une planche de bande dessinée est en fait en elle-même un élément de design sur lequel on doit trouver un équilibre. Dans chacune des planches, indépendamment des autres. Dans chaque planche on doit montrer notre meilleur travail artistique, sinon elle n’intéressera personne à mon avis. La planche de bande dessinée est le produit artistique fini, ce que n’est pas la planche de storyboard et c’est vraiment la grande différence entre les deux.
Le TOULOUSE GAME SHOW nous a fait profiter d’une exposition de votre travail sur Game of Thrones. Les personnages sont très expressifs et les armes très détaillées… Quelle partie de ce travail est là plus excitante pour vous créativement parlant ?
Sur les personnages, c’est extrêmement important pour moi de rendre compte de leurs expressions parce que c’est une série dramatique. Il faut que tous ceux qui vont travailler avec mes dessins sachent rapidement ce qu’il se passe dans cette séquence. D’ailleurs, quand je sais qu’il va arriver quelque chose de terrible à un personnage, je suis vraiment dedans, je le ressens et c’est ce ressenti qui doit passer après à la caméra. Ca me met une espèce de pression, pas une angoisse réellement mais je suis concerné, quand je dessine ces personnages, je suis investi. En plus, je suis influencé par ma carrière dans la bande dessinée. Dans la bd, tout doit passer dans le dessin, les cadrages et le reste. Il faut à la fois rendre compte de l’action et en même temps de la manière dont les personnages le vivent intérieurement et donc pour moi c’est effectivement extrêmement important la manière de mettre leurs émotions en situation. Et puis si je dessinais des personnages fades, j’aurais des journées bien ternes.
Sur le concept art, c’est vrai que, pour le pilote, pour la saison 1, j’avais énormément de concept art à faire et c’est ce que j’adore parce que c’est de la création d’univers. C’est la mise au point de toute une chorégraphie graphique qui rend compte d’un univers visuel et qui va aiguillonner le travail des réalisateurs pour les stimuler par la recherche de cet univers. Evidemment, plus on avance dans Game of Thrones, moins j’ai à faire de concept art et d’imaginer des mondes. Je fais essentiellement du storyboard maintenant et c’est vrai que cette partie là me manque. C’est pour ça que c’était très rafraichissant quand je suis allé travailler sur Halo : Nightfall, où là je changeais de monde radicalement, là on était dans de la SF avec des types avec des gros flingues. J’étais à nouveau en train d’inventer des mondes, des concepts et ensuite retourner sur Game of Thrones, c’était un peu comme retourner dans une pièce avec des vieux amis où on se sent en confort ou plutôt pas du tout parce qu’on sait que tout le monde va y passer. Mais c’est vrai que c’est bien de changer de temps en temps et si à la rigueur tout d’un coup il y avait un nouveau monde dans Game of Thrones, là je serais absolument ravi d’avoir de nouveau à élaborer des concepts parce que c’est extrêmement stimulant.
Retrouvez nos attentes pour cette saison et nos échos de l’avant-première du premier épisode.