
Yoji Shinkawa : le second homme de Metal Gear Solid
Durant tout le mois de septembre, le Daily Mars vous propose une série d’articles consacrée à la saga Metal Gear Solid, à l’occasion de la sortie du cinquième épisode, chargé de boucler la boucle en ce qui concerne l’histoire énorme de la saga.
On entend évidemment beaucoup parler de Hideo Kojima comme le visage de la saga Metal Gear : c’est lui qui est à l’origine de l’histoire et du game design ; c’est son « bébé ». Mais à partir de l’épisode sur PsOne, Metal Gear Solid, un artiste va considérablement apporter sa pierre à l’édifice en ce qui concerne le style visuel : Yoji Shinkawa.
Né en 1971 à Hiroshima, Shinkawa vit son enfance en étant très influencé par des mangas japonais, tels que ceux de la Tatsunoko (Speed Racer, Shurato, Video Girl Ai) mais aussi et surtout ceux qui contiennent des mechas japonais, ces fameux robots souvent bipèdes capables des plus incroyables prouesses. On les connaît à travers des séries comme Macross, Gundam ou le non moins connu Evangelion, qui a beaucoup contribué à populariser la chose en rendant le concept plus « adulte ». Intéressé par le dessin dans sa famille, il intègre une école d’art à Kyoto, spécialisé dans la peinture à l’huile. Il cherche alors un emploi et tente sa chance chez Konami en 1994 car il apprécie le studio et ses jeux. La première mission officielle qu’on lui donne est de créer le design d’un Metal Gear, ni plus ni moins. Après plusieurs recherches et difficultés sur les volumes du dessin, il parvient à créer un design convaincant à l’aide de maquettes pour assimiler les formes 3D. Kojima sera impressionné et le propulse alors en tant qu’Art Director sur le titre. Le Metal Gear REX est adopté par l’équipe, même si son côté bricoleur le forcera à travailler chez lui à cause des produits chimiques qu’il utilise. Même s’il a une petite contribution sur Policenauts, à l’époque en production chez Konami, son gros travail était de réaliser les designs des personnages et de trouver le style visuel avec une petite équipe de six designers. Sa relation avec Kojima grandit au point qu’il sera l’instigateur de tout le travail visuel sur la saga.
Pour le personnage de Snake, Kojima veut le redéfinir complètement. Les designs des épisodes sur MSX le présentent comme une sorte de soldat un peu ordinaire, avec un côté Rambo dû au bandana (Kojima s’est inspiré de Michael Biehn à l’époque, vu sur Terminator et Aliens). C’est d’ailleurs le seul élément caractéristique que Kojima veut absolument conserver. Il a aussi pour consigne de s’inspirer des héros de films tels Jean-Claude VanDamme et de leurs musculatures pour faire en quelque sorte un idéal héros masculin. Son visage est inspiré par celui de Christopher Walken. Shinkawa a tendance à travailler en collaboration avec les game designers pour savoir comment ils projettent les caractéristiques d’un personnage. L’artiste travaille énormément en freestyle, se lâchant sur des croquis et affinant au fur et à mesure de ses sélections et des critiques qu’on faisait sur son travail. Ses outils sont d’ailleurs déjà très typiques de son style visuel. Il avoue aussi qu’étant adolescent, il a découvert beaucoup de bandes dessinées franco-belge, notamment les travaux d’Enki Bilal. Ne comprenant pas forcément les textes, il s’imprègne énormément de son style visuel, et cela s’en ressent notamment sur les artworks du premier Metal Gear Solid. Il utilise principalement la peinture et notamment le Pentel, un outil bien particulier puisqu’il s’agit d’un petit pinceau muni de cartouche d’encre de Chine qui a l’avantage d’être transportable partout et facilement. Le côté hyper vivant de ses croquis sera encore plus vrai au fur et à mesure des épisodes grâce à cette technique.
Il est donc à l’origine du design de beaucoup de personnages, comme Revolver Ocelot, Psycho Mantis et est même le créateur du Cyborg Ninja, puisque c’est Kojima qui décide de l’intégrer à l’histoire lorsqu’il voit un croquis par hasard parmi les travaux de Shinkawa. Celui-ci avoue qu’il a fait ce croquis parce « qu’il trouvait cool d’avoir un ninja dans le jeu ». Kojima était apparemment de cet avis et modifie son script pour l’inclure efficacement dans le scénario, et en fait un des personnages emblématiques de la saga. On notera aussi qu’à la base, Sniper Wolf était un homme. C’est Shinkawa qui suggère d’en faire une femme. Pour Meryl, Kojima avait l’idée d’utiliser un personnage féminin pré-adulte, à la manière de Natalie Portman dans Léon. Lorsque Shinkawa découvre qu’elle doit se servir d’un Desert Eagle, il s’oppose à lui pour imposer une adulte. Meryl (qui n’avait d’ailleurs peut-être pas ce nom à la base) est transformée et inspirée du personnage du même nom dans Policenauts. Dès le premier épisode, Shinkawa surprend en évitant les codes trop « manga » pour arriver à une approche plus occidentale. Les personnages ont des proportions réalistes et sont davantage inspirés de personnages fictifs américains que de la culture japonaise. C’est ce style visuel qui lui permettra aussi de faire un carton à l’international, couplé avec les inspirations du cinéma américain de Kojima.
Pour Metal Gear Solid 2, le plus gros défi de Shinkawa est la conception de Raiden, qui tranche bien plus avec le reste du casting de la saga car étant typiquement japonais dans son style : quasi androgyne, représentant le soldat sans expérience tranchant totalement avec les caractéristiques de Snake, Raiden sort du lot et Kojima s’en amuse d’ailleurs pendant plusieurs scènes. Le design vient surtout d’un sondage à la sortie de MGS, et Shinkawa remarque certaines jeunes filles qui refusent de jouer à un jeu rempli de vieillards et préfèrent jouer un beau jeune homme. Ironie du sort : alors que Metal Gear Solid était sous influence américaine, le fait de diriger Raiden dans le second plaira beaucoup plus aux japonais (qui ont l’habitude de ce genre de personnages) qu’aux occidentaux, qui ont accueilli ce nouveau protagoniste plutôt froidement. Pour Metal Gear Solid 4, Shinkawa décide de repenser totalement le design de Raiden et en fait le nouveau cyborg-ninja. Plus sombre, Raiden devient un personnage ayant subi de sacrées épreuves entre deux épisodes et en devient beaucoup plus charismatique et classe. Shinkawa adore tellement ce personnage qu’il sera très impliqué dans le spin-off Metal Gear Rising.
Pour Metal Gear Solid 3, Shinkawa modifie encore un peu son style. Abandonnant peu à peu la couleur, il crée un casting se limitant à certains personnages marquants. La Cobra Unit est moins charismatique et lui apporte moins de satisfaction vu que les informations sur ces personnages sont plus légères, exception faite de The Sorrow qui bénéficie d’un background plus élaboré. Mais à partir de MGS3, les boss sont moins travaillés dans leur background et misent beaucoup plus sur le gameplay lors de leur combat, ce qui fait que la patte artistique, même si leur design est atypique, reste moins élaborée qu’à l’époque du premier épisode. Par contre, certains personnages font état d’un travail conséquent, à l’image de The Boss. Shinkawa n’a pas l’habitude de s’inspirer de quelqu’un de réel pour créer le physique, mais c’est Charlotte Rampling qui sera l’inspiration principale pour les traits de The Boss, en raison de leurs caractères communs de femme forte.
Pour Metal Gear Solid 5, Shinkawa prend beaucoup de plaisir sur les nouveaux personnages comme Quiet ou Code Talker. Étant d’un naturel peu discipliné, son gros défaut est son manque d’organisation, notamment sur son emploi du temps, même si le fait de travailler en équipe le force à pouvoir compter sur les autres. Mais Shinkawa est souvent en déplacement et garde toujours un calepin sous la main pour griffonner en toute circonstance. Pour l’évolution de Big Boss entre Ground Zeroes et Phantom Pain, Kojima a une idée précise derrière la tête. Il fallait qu’on sente que Big Boss évolue sous nos yeux jusqu’à devenir une sorte de « démon ». La fameuse corne (en fait un morceau de métal issu de la fin de Ground Zeroes) évolue peu à peu et participe à la « diabolisation » de ce personnage. C’était le point essentiel sur le design de ce Big Boss. La grosse difficulté pour cet épisode est aussi le monde ouvert. A l’époque, Peace Walker comprenait beaucoup d’artworks en raison des différents soldats de la Mother Base pour réaliser tous les visages en avatars. Ici, c’est la même chose, en plus de tous les différents éléments composant le monde ouvert.
Peace Walker a été un travail particulier, puisque le jeu dispose de cinématique en artworks animés. Dans une méthode qu’il appelle Artist Demo, Shinkawa fait appel à Ashley Wood, dessinateur qui a déjà officié sur les Digital Graphic Novel sur PSP. Ensemble, ils collaborent pour créer ces artworks qu’ils font bouger, en se servant de layouts pour créer une première passe, puis réaliser les artworks qui seront réajustés par Ashley Wood. Pour réaliser Paz, la conception est compliquée puisque ses cheveux ondulés et le côté « mignon » de son visage a fait que le nombre de polygones est plus élevé que les autres personnages. Les IA dans le jeu, sortes de robots armés, sont créés en se servant de recherches historiques avec un léger côté science-fiction de manière à ce qu’ils soient pertinents avec l’univers ; même si vu l’époque, la plupart des robots du jeu n’étaient pas spécialement concevables.
La saga Metal Gear Solid a toujours proposé des personnages forts et charismatiques, des éléments qui n’auraient pas aussi bien marché si Shinkawa n’avait pas proposé sa patte en collaborant aussi bien avec Kojima. Ensemble, les deux hommes ont pu créer une vraie relation de travail qui se ressent énormément sur la saga, l’un arrivant à compléter les manques de l’autre. Yoji Shinkawa a connu une carrière entièrement dévolue à Metal Gear Solid (et à Zone of the Enders, l’autre série de Kojima), mais fait partie des rares artistes à pouvoir se targuer d’avoir donné son style visuel à toute une saga vidéo-ludique, surtout quand celle-ci s’appelle Metal Gear.