
Yojimbo sauce barbecue (critique de Django, de Sergio Corbucci)
Sombre et outrancier, Django se pose comme un des westerns spaghetti les plus violents de la deuxième moitié des années 60. En réalisant cette œuvre empreinte de cruauté aux accents fantastiques, Sergio Corbucci signe un film excentrique d’une grande modernité qui inspirera toute une génération de réalisateurs italiens comme Damiano Damiani, Giulio Questi ou le grand Enzo G. Castellari. Peut-être pas son meilleur film, Le grand silence lui étant supérieur, mais certainement la réalisation qui lui permit d’inscrire son nom dans la liste des plus grands réalisateurs de westerns transalpins.
Peu de temps après la guerre de Sécession, dans une ville désolée de la frontière mexicaine, un porte-flingue mutique traînant un cercueil fait son apparition. Connu sous le nom de Django, il s’implique rapidement dans une lutte de pouvoir opposant un gang de bandits Mexicains et l’armée d’ex-confédérés du sadique major Jackson. Trop occupés à s’entre-déchirer, les deux factions ne réalisent pas que cet étranger énigmatique a des comptes à régler et qu’il a apporté avec lui le bon outil pour accomplir sa basse besogne.
C’est en 1959, lors du tournage du film Les derniers jours de Pompéi (Gli ultimi giorni di Pompei), que Sergio Leone et son assistant Sergio Corbucci eurent la brillante idée d’utiliser les paysages italiens et espagnols comme décors de westerns afin de concurrencer les productions américaines du genre, alors en perte de vitesse. Leone réalisa donc en 1964 le film qui définit le genre aux yeux des cinéphiles du monde entier pour les décennies à venir et lança par la même occasion la carrière de Clint Eastwood : Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari). Corbucci, à la tête d’une filmographie comptant déjà vingt-cinq films, suivit son exemple quelques années plus tard en 1966 avec Django.
Les similitudes entre les deux films ne sont évidemment pas dues au hasard. Grands admirateurs du Garde du corps (Yojimbo) d’Akira Kurosawa sorti en 1961, les deux metteurs en scène avaient tous deux pour objectif de réaliser un remake à la sauce spaghetti du classique japonais lui-même très inspiré par les westerns de John Ford. La légende raconte qu’Enzo Barboni, directeur de la photographie et futur réalisateur de On l’appelle Trinita (Lo chiamavano Trinità), poussa Leone à voir le film. Soufflé par cette noble épopée violente et poétique, il contacta immédiatement son collaborateur Corbucci pour lui exposer son désir d’adapter cette histoire dans un contexte occidental. Grand amateur de chanbara (genre cinématographique mettant en scène des combats de sabres) et fasciné par la figure mythique du samurai solitaire, Corbucci avait déjà pu voir le film à de nombreuses reprises et avoua à son mentor qu’il envisageait également d’adapter l’histoire à l’écran en prenant pour toile de fond le grand ouest américain. C’est ainsi que naquit une grande rivalité entre les deux hommes qui dura des années.
La différence majeure entre l’adaptation de Leone et celle de Corbucci réside principalement dans le traitement du pistolero solitaire. Porte-flingue errant et opportuniste coincé entre deux factions rivales dans Pour une poignée de dollars, le vagabond armé est dépeint dans Django comme un stratège calculateur guidé par une soif de vengeance inextinguible. Comme pour se différencier du chef-d’œuvre de Leone, Corbucci choisit également d’opter pour un ton beaucoup plus sombre et torturé, ancrant son film dans une atmosphère aux accents gothiques. Ainsi, si son héros perpétue clairement la tradition du samourai taciturne (il ne monte pas à cheval, parle peu, fait preuve d’une certaine noblesse d’esprit et n’exprime pas d’émotions), il incarne aussi une figure fantastique impressionnante et charismatique.
Vêtu de noir de pied en cape, l’œil torve, il traîne derrière lui un cercueil. C’est un fossoyeur, un sbire de la faucheuse qui sème la mort sur son passage. Mais c’est aussi un homme accablé par son lourd fardeau, un esclave de son destin incapable de s’affranchir d’un passé encombrant. Comme si la mort et lui avaient fusionné en une entité indivisible, insécable. Ainsi, quand on lui demande si son cercueil renferme un corps, il répond désabusé ‘Oui, et son nom est Django’. La métaphore est appuyée mais le message est clair. Nous sommes dans un film s’affranchissant de tout réalisme, une œuvre baroque et excessive. Le magnifique décor de la ville où débarque Django, conçu par le génial Carlo Simi, collaborateur de Leone sur Le bon, la brute et le truand (Il buono, il brutto, il cattivo) et Il était une fois dans l’ouest (C’era una volta il West) notamment, vient d’ailleurs confirmer cette impression. Boueuse, décatie, fantomatique, cette ville morte fait figure de limbes cauchemardesques et ne dépareillerait pas dans un film de la Hammer.
Ainsi, si Leone sublime le western spaghetti et lui apporte ses lettres de noblesse en y insufflant un lyrisme et une dimension épique, Corbucci contribue avec ce métrage à le positionner comme une antithèse frontale du western américain, un négatif nihiliste désabusé. Les plaines ensoleillées et arides des fresques hollywoodiennes sont ici remplacées par des paysages chaotiques inhospitaliers transpirant le désespoir. En ce sens la scène d’ouverture du film est une réponse au cliché du cow-boy fringant propre sur lui parcourant le grand ouest sur son cheval blanc. Django, lui, marche lentement, traînant péniblement son fardeau mortuaire dans un décor apocalyptique. Il n’est pas en quête d’honneur et de justice mais recherche la fortune et vient assouvir une vengeance personnelle. Rien d’héroïque ou de glorieux là-dedans. Si Django cherche constamment à se rapprocher de ses ennemis, ce n’est pas pour sauver la veuve et l’orphelin dans un élan chevaleresque mais pour les éliminer froidement de la manière la plus violente et brutale possible afin d’assouvir sa soif de sang.
Car Django est aussi un film présentant une succession d’éclats de violence tous plus surprenants et inspirés les uns que les autres : un carnage à la Gatlin n’ayant pas grand-chose à envier à la fusillade finale de La Horde sauvage (The Wild Bunch) de Peckinpah, des scènes de torture d’une brutalité hallucinante, une chasse à l’homme monstrueuse et surtout une confrontation finale iconique et poétique admirablement mise en scène. Cette imagerie puissante liée à un sens aigu de la mise en scène portent clairement la marque de fabrique de Corbucci et font de cette œuvre une expérience éprouvante mais unique et attachante. A ce titre il semble évident que le savoir-faire de l’assistant-réalisateur Ruggero Deodato (futur réalisateur de l’archi-culte Cannibal Holocaust) et l’œil expérimenté du directeur de la photographie Enzo Barboni, collaborateur régulier de Corbucci, ne sont pas pour rien dans la cohérence globale de l’ensemble. De plus, on sait que de nombreux problèmes durant la production du film poussèrent les deux hommes à remplacer Corbucci au pied levé et même si Django porte la signature stylistique du metteur en scène, leur apport au produit fini est de ce fait incontestable.
Rien à redire non plus concernant la distribution du film. Franco Nero est parfait dans le rôle-titre. Son charisme naturel et sa sobriété convaincante parviennent à faire du personnage un héros à part entière et non pas une simple redite du personnage de Joe interprété par Clint Eastwood dans Pour une poignée de dollars. Tout d’abord mutique et impavide, il interprète remarquablement en fin de film un être finalement faillible révélant peu à peu ses failles. Eduardo Fajardo dans le rôle de l’infâme major Jackson, compose pour sa part une splendide enflure toute en rage contenue. Un badguy collet monté tiré à quatre épingle, parfaite réponse à notre héros couvert de boue et débraillé. Enfin, la troisième performance notable est celle José Bódalo dans le rôle du bandit mexicain Hugo Rodriguez. Excessif, violent, rabelaisien, ce personnage vociférant est un élément essentiel du film et l’acteur semble prendre un plaisir non dissimulé à entrer dans la peau de ce bourrin imbibé de tequila. Caricatural mais toujours humain, le cabotinage jouissif de l’acteur donne magnifiquement vie au chef des révolutionnaires mexicains.
Enfin, impossible de clore ce papier sans mentionner la remarquable bande originale du grand Luis Bacalov. Protéiforme, elle illustre parfaitement les différentes ambiances du film et vient souligner par sa mélancolie le ton globalement pessimiste de Django. Tour à tour menaçante (La Corsa), épique (Fango Giallo) ou légère (El Pajarito), cette partition maîtrisée apporte une belle texture au métrage. Très représentatif de ce travail de grande qualité, le thème musical litanique narrant les aventures du pistolero dans la plus dure tradition du western transalpin est annonciateur du déluge de balles à venir, véritable sous-texte musical suggérant l’imminence du massacre. Une jolie preuve du grand talent de Bacalov qui connut son heure de gloire presque trente ans plus tard en composant la somptueuse bande originale du film Le facteur (Il postino) réalisé par Michael Radford.
Django rencontra un immense succès en Italie et inspira plus d’une trentaine de suites officieuses n’entretenant aucun rapport avec le film de Corbucci autre que l’emprunt du prénom emblématique. Tour à tour porté par différents acteurs comme Terence Hill, Tomas Milian, Lee Van Cleef ou plus récemment Jamie Foxx il fut exploité sans retenu pendant des décennies afin de profiter de l’aura du film original. Ce n’est qu’en 1987 que Sergio Corbucci retrouva Franco Nero pour la seule et unique suite officielle, Django 2 : Le grand retour (Django 2 – Il grande ritorno).
Assez décevant, ce second Django écrit par Corbucci et réalisé par Nello Rossati narre les nouvelles aventures du pistolero solitaire (devenu moine…) de retour au Mexique après le kidnapping de sa fille. Inutile de préciser que les négociations ne se feront pas autour d’une table dans le confort douillet d’un saloon. Au-delà de ses grandes qualités formelles et thématiques, Django peut surtout se targuer de proposer une alternative poisseuse et brutale à l’univers mythifié de Leone. Moins accessible et grandiloquent que Pour une poignée de dollars, Django représente néanmoins une très belle entrée en matière pour qui souhaite découvrir l’univers radical et excentrique de Sergio Corbucci.
Django, de Sergio Corbucci (1966). Ressorti en salles le 23 janvier 2013 et disponible en DVD chez Wild Side.
Ca me fera toujours délirer comment Franco Nero et Terence Hill se ressemblent et aucun réal ne les a fait jouer ensemble. Ca aurait pu donner quelque chose d’intéressant
Je suis bien d’accord. Pourtant leurs carrières se sont croisées en un sens. Hill a remplacé Nero dans ‘Trinita, prépare ton cercueil’ qui devait être une prequelle de Django. Hill était le Nero du pauvre quand Nero était au top de sa carrière jusqu’à ce que le rapport de force s’inverse et que Nero devienne le Hill du pauvre quand il était au creux de la vague. Il aurait fallu qu’il soient populaires en même temps pour partager l’affiche. Dommage.
heu…
le YOJIMBO spaghetti c’est plutôt POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS…
dont DJANGO est une triste copie…
Dis-donc DrNo, t’aurais pas lu QUE le titre de l’article toi par hasard avant de poster ce commentaire ? C’est pas très très bien ça.
Alors je veux bien admettre que c’est très long mais si tu avais lu le reste tu aurais vu que je parle in extenso de ce rapport entre les deux films. Et non, Django n’est pas une COPIE de Pour une poignée de Dollars. L’idée d’adapter le film de Kurosawa en western vint à Corbucci avant Leone mais il n’avait pas les même moyens que son mentor et dut attendre que le producteur Manolo Bolognini lui propose enfin de réaliser sa version de l’histoire.
Après j’adore les deux films et je peux tout à fait admettre qu’on préfère Pour une poignée de dollars, même si les deux productions ne boxent pas du tout dans la même catégorie niveau budget.
Hébé voilà t’as gagné. Je suis tout énervé là, je vais jamais réussir à digérer mes nouilles.
ben si j’ai lu ton texte mec!
je vais t’énerver encore un peu là.
YOJIMBO est l’adaptation quasi littérale de LA MOISSON ROUGE, un roman noir US de Dashiell Hammett datant de 1929. Un bouquin génial et matriciel (MILLER’S CROSSING des Coen en est une adaptation libre). Qui n’a pas grand chose à voir avec John Ford…
Le truc drôle c’est que KUROSAWA en a fait un shambara, et Leone l’a remaké (limite plan par plan et en bouchant les ellipses) en western révolutionnaire.
Je trouve que le DJANGO de Corbucci s’éloigne beaucoup trop de ses modèles dans son scénario et ses personnages.
Y a un certain humour cynique contrebalancé par des bouffées de violence délirantes et iconiques dans le Kurosawa et le Leone.
Y a juste pas de fric dans DJANGO.
Et l’histoire de vengeance personnelle est un GIGANTESQUE CONTRESENS.
J’ai jamais aimé ce film comme tu commences à le comprendre.
Voilà je t’ai encore énervé! 😉
sinon ton papier est passionnant hein!
c’est juste que j’aime pas Corbucci! 😉
Pas d’inquiétudes, mon énervement est contenu tel un volcan en sommeil depuis des millénaires.
En fait je n’étais pas au courant pour La Moisson Rouge mais j’ai lu des interviews de Kurosawa ou il disait s’être inspiré des films de John Ford et du film ‘La Clé de verre’ (adapté d’un autre roman de Hammett), allant jusqu’à copier certains plans. Après je sais pas, c’était peut-être pas Kurosawa, mais un imitateur très doué. Une sorte de Patrick Sébastien nippon.
Mais effectivement,je commence à comprendre que tu n’aimes pas Corbucci. C’est un vrai problème pour moi mais je crois que je vais apprendre à vivre avec.
Merci pour le compliment en tout cas camarade !
Stop ! Je vous demande de faire Le Grand Silence !
claaaaaasse Stifounet !
C’est bien beau de vous congratuler, messieurs Da Costa et No, mais dans votre bataille d’experts là, y en a un qui parle de chanbara et l’autre de shambara ! Alors c’est lequel le bon orthographe ? Me vlà bien dans l’embarras !!!
Alors je dirais bien que j’ai raison mais le vil No va me la retourner dans les gencives en sortant encore une référence de déglingo.
I can’t get Docteur No’s satisfaction (désolé).
On peut plus se castagner sans un empêcheur de fritter en rond de nos jours… Mais il est vrai que c’est assez classe, je dois bien le reconnaître.