
Re-Anime: L’œuf de l’Ange (de Mamoru Oshii)
Sorti en 1984, ce poème graphique réalisé par Mamoru Oshii se vit comme une expérience sensorielle et montre une facette différente du maître. Le Re-Anime du jour est fantomatique, empli de mélancolie et il dévoile une étrange fragilité.
Presque évanescent, aussi délicat qu’une bulle de savon, Tenshi no Tamago, en VO, affirme son identité dans une ambiance gothique et quasi-létale. Presque muet, composé essentiellement de tableaux contemplatifs, le film carrément expérimental rappelle fortement le sublime La Belladone de la Tristesse (Re-Anime ici) sans pour autant réussir à atteindre la force graphique de son aîné. Cependant, le seul problème de ce genre de productions expérimentales, c’est qu’elles peuvent paraître assez hermétiques. Loin des canons esthétiques et narratifs, L’œuf de l’Ange aligne symboliques et références bibliques et le spectateur peut facilement se retrouver noyé dans tant de mysticisme. Oshii a toujours fait dans le cinéma complexe et cérébral et donc on ne peut pas réellement s’étonner du résultat. Maintenant, selon moi, il y a deux possibilités, soit on veut absolument comprendre, saisir le sens d’une œuvre, soit on peut accepter de ne pas savoir et se laisser porter et pénétrer par une poésie visuelle et sensorielle.
Hors de l’espace et du temps, L’œuf de l’Ange s’attarde sur une jeune fille, dans une ville désolée et déserte, qui tente de couver et protéger un œuf qu’elle a trouvé dans les ruines. Elle lui apporte toutes les attentions maternelles possibles, jusqu’au jour où elle rencontre une jeune homme qui va la suivre, bien intrigué qu’il est, par cet œuf. C’est sur cette base que Mamoru Oshii tisse sa toile d’artiste, son rêve éveillé et qu’il construit une œuvre profonde et déstabilisante. La direction artistique de Yoshitaka Amano, qui a notamment travaillé sur la série vidéo-ludique des Final Fantasy, contribue énormément à la qualité du film. Le dessin subtil et le trait délicat donnent une vraie force graphique au projet. Comme souvent, Oshii prend son temps et ici plus qu’ailleurs, il distille une forme de langueur. Les décors de la ville aux allures gothiques se déploient dans des teintes monochromatiques et finissent par devenir un personnage à part entière. La bande-son de Yoshihiro Kanno, quand à elle, apporte le relief nécessaire et renforce considérablement l’atmosphère post-apocalyptique. D’étranges et obscurs bruits composent l’ambiance sonore et soutiennent des chœurs spectraux et omniprésents qui hantent le film de part en part.
Clairement, L’œuf de l’Ange, n’est pas destiné au plus grand nombre et en laissera plus d’un sur le bord de la route. Cependant, quelque soit sa sensibilité, il est toujours intéressant de se heurter à de tels créations artistiques. Qu’on aime ou qu’on déteste, on ne ressort jamais indemne de ce genre d’expérience. Il faut accepter de se faire un peu bousculer si on ne veut pas passer à côté de petite perle comme celle-ci. Les œuvres de Oshii ne se laissent pas apprivoiser facilement et refusent souvent le compromis mais une fois qu’on a pénétré dans son univers, on découvre une âme fragile et pleine de failles et L’œuf de l’Ange en est l’élément fondateur.
L’œuf de l’Ange de Mamoru Oshii (1984) – Studio DEEN